Les nouvelles de ce recueil riche et varié peuvent être classées de différentes manières. Selon le genre, par exemple, SF avec Ceux qui restent et qui luttent, Nuages dragons, La fille de Troie, Major de promotion, Les épouses du ciel, Les évaluateurs, Vigilambule, La danseuse de l'ascenseur ; fantastique avec Grandeur naissante, et, sur un thème comparable, Pécheurs, saints, spectres et dragons - la cité engloutie sous les eaux immobiles, Cuisine de Mémoires, MétrO, Trop d'hiers manque de demains, Probabilités non nulles ; fantasy avec Le moteur à effluent, qui mêle uchronie et steampunk, La sorcière de la terre rouge, L'alchimista, Avide de pierre, Les berges de la Lex, Le Narcomancien.
L'une revient dans l'univers familier aux lecteurs des livres de La Terre fracturée. Plusieurs sont militantes des droits des minorités (Le moteur à effluent, Nuages dragons, Ceux qui restent et qui luttent, Grandeur naissante, Vigilambule). Je ne les ai pas toutes aimées, et je ne détaillerai ci-après que ma sélection très personnelle. Nul doute que les lecteurs qui auront à cœur de découvrir cet autre aspect de l'autrice auront de quoi faire leur propre choix.
Ceux qui restent et qui luttent : La référence à Ceux qui partent d'Omélas, la célébrissime nouvelle d'Ursula K. Le Guin, est évidente à la fois dans le titre et dans le style, et d'ailleurs revendiquée par l'autrice dans sa préface. L'argument est différent, au sens où cette cité "parfaite" est ici polluée par notre monde. L'histoire est à propos de ceux et celles qui doivent lutter contre cette pollution.
Grandeur naissante : Ce petit noir new-yorkais vise d'abord à rester en vie, manger, boire, éviter les flics toujours prêts à le tabasser. Ce que lui raconte ce fêlé de Paulo ne l'intéresse à peu près pas. Mais quand il peint ses fresques sur la peau de la ville, il entend comme des sons répondre aux siens. Style puissant familier aux lecteurs de La Terre fracturée. Belle nouvelle bien écrite et originale.
La sorcière de la terre rouge : Certes, il n'y a pas les plantes traditionnellement utilisées pour écarter les Dames blanches et leurs pareil.le.s, mais d'autres sont utiles. Pas assez toutefois pour empêcher la visiteuse d'exiger une proie pour protéger les trois autres occupants de la maison. Bien aimé cette réflexion sur l'évolution du rapport à la Faërie sur des continents différents.
L'alchimista : Le problème quand on est une cuisinière exceptionnelle, c'est, comme pour tout grand artiste, de trouver un public qualifié. La narratrice ne peut que répondre aux défis successifs que lui lance son étrange visiteur. Une espèce de Faust totalement réinventé, qui donne une furieuse envie de plats gastronomiques.
Le moteur à effluent : Jessaline se rend compte dès qu'elle se trouve face à Norbert Rillieux que ce n'est pas lui qui réalisera le moteur dont son peuple à le plus urgent besoin pour rester libre. Mais qui d'autre ? Une histoire d'amour pas vraiment inattendue dans un cadre uchronique intéressant.
Nuages dragons : Ceux qui ont quitté une Terre trop chaude pour vivre sur l'Anneau reviennent parfois, et un groupe demande au père de Nahautu de s'installer dans leur cabane de pêche pour quelque temps. Leur objectif est d'étudier la raison du changement de couleur du ciel, devenu rouge. Ils semblent incapables d'y voir les nuages dragons. Qui démontre la courte vue des scientifiques...
Les épouses du ciel : Sur Illiyin, il n'y a plus que des femmes, résignées à l'extinction puisque l'unité cryogénique des hommes n'a pas résisté au voyage, et que tous les enfants mâles sont morts. Mais Dihya ne peut pas s'y résoudre. Un planet opera intéressant par l'aspect religieux et la culture musulmane.
Vigilambule : Quand un corps est usé, on en change. C'est pourtant simple ! Après tout, il y a toujours de enfants qui sont là pour cela. Mais il y a aussi quelques personnes, comme Sara, qui n'ont pas oublié comment rêver, ni d'ailleurs comment créer des liens. Traitement de l'alien intéressant, comme d'ailleurs du thème de l'échange de corps.
Cuisine de Mémoires : La seule idée que puisse être reproduit exactement le menu d'un souvenir, quel qu'il soit, est évidemment ridicule. Non ? Mais si c'est le cas c'est forcément qu'il y a un truc. Non ? Une nouvelle subtile sur le passé et la façon dont le présent est ce qui passe.
Avide de pierre : Retour au monde de La Terre fracturée et aux thèmes de la vengeance et de la monstruosité pour cette belle nouvelle d'une enfant devenue sauvage.
Le Narcomancien : Le Collecteur Nit est un serviteur de la Déesse, et sait quel est le prix de la magie qu'elle lui a octroyée. Mais sa rencontre avec Namsut va nourrir sa vie d'une autre façon. Une superbe nouvelle douce-amère, dans un univers original et des personnages secondaires fouillés.
