Les Chroniques de l'Imaginaire

Monsieur Jules - Ducoudray, Aurélien & Monin, Arno

Monsieur Jules est un personnage qui est plutôt connu, dans le quartier. Même si celui-ci change de jour en jour, avec tous les travaux qui ont lieu... Il n'est pas rare de croiser Jules à la pharmacie du coin, venant y chercher des articles plutôt inattendus... Les commandes en question sont essentiellement composées de centaines de préservatifs, de tailles diverses, de lingettes anti-bactériennes, et de boîtes de gel lubrifiant. Comme on dit souvent, on n'a pas l'air de s'ennuyer, chez Monsieur Jules...

Et pour cause ! Jules est un vieux proxénète, et il vit avec les deux prostituées que tout le monde prend pour ses femmes... D'abord, il y a Madame Brigitte, la plus jeune, et Mademoiselle Solange, la plus âgée, qui se relaient pour faire des galipettes auprès des clients les plus divers. Solange donne également de sa personne pour payer tout ce qu'elle a à payer en nature. Cela va du loyer auprès du propriétaire, au panier de légumes chez l'Arabe du coin.

Mais aujourd'hui, Jules pique une colère noire, lorsqu'il voit Brigitte porter une perruque blonde. Un artifice de plus en plus nécessaire pour plaire, au fur et à mesure où l'âge avance, mais un artifice qui appartenait à Marie, celle qui était à l'époque la femme de Jules, et qui est décédée d'un cancer, voilà bien des années. Et Marie était la sœur de Brigitte, d'où une certaine aigreur que Brigitte ne manque jamais de raviver...

Et les choses vont bientôt prendre une tournure inattendue, le jour où le propriétaire apporte une jeune fille sénégalaise, inanimée, dans la maison de Jules. La jeune femme, de toute évidence prostituée, a avec elle un sac renfermant huit passeports de huit prostituées sénégalaises. Il n'y a pas de trace du passeport de la prostituée inanimée dans le lot, et il va maintenant falloir soigner la jeune fille en question. La soigner physiquement, mais surtout mentalement, au vu de l'enfer qu'elle a eu à traverser en arrivant en France...

C'est à Aurélien Ducoudray (Amère Russie, Les Chiens de Pripyat) et Arno Monin (L'Envolée sauvage, L'Adoption) que l'on doit ce one-shot, au thème rare dans le neuvième art, qui paraît dans la collection Grand Angle chez Bamboo. Parler de prostitution n'est pas forcément chose aisée, étant donné le côté tabou de ce genre de sujet. Et en parler avec beaucoup d'humanité et d'intelligence, comme c'est franchement le cas ici, est une chose encore bien plus rare...

Les dessins d'Arno Monin bénéficient ici d'un traitement graphique différent de ce que nous sommes habitués à voir avec ce dessinateur. Les couleurs sont différentes, plus réalistes, avec des traits plus hachés, très éloignés de ce qu'on pouvait voir dans une série comme L'Envolée sauvage, dont le premier tome date de 2006. Les traits ont gagné en richesse, en maturité, et les personnages, attachants au possible, bénéficient de tronches et d'expressions très réussies. Jules est une gueule cassée de premier ordre : il était très important d'avoir un ton juste avec ce personnage, et le pari est parfaitement réussi, avec un ours finalement plein d'humanité, alors même qu'il exerce une activité illégale, qui n'est pas faite pour attirer la sympathie.

Aurélien Ducoudray s'est attelé à rendre ce personnage le plus humain possible, et c'est un vrai plaisir de le voir évoluer dans ce milieu, mêlant sa tristesse et ses emmerdes passées avec d'autres emmerdes bien plus contemporaines. Le personnage est même touchant, lorsqu'il parvient enfin à franchir la porte d'un magasin de prêt sur gage, pour y vendre un bien précieux souvenir.

Monsieur Jules est un one-shot brillant, plein d'humanité et de bienveillance. Cela n'était pas simple, et les auteurs ont également réussi à y glisser des notes d'humour tout à fait savoureuses, à travers des dialogues ciselés et des engueulades jouissives. Il trouve parfaitement sa place dans la collection Grand Angle, avec un sujet brillamment traité. A mettre entre de nombreuses mains !