San Francisco, 1940. Le Cercle regroupe une poignée de femmes qui ont choisi d'assumer leur sexualité particulière, malgré les lois anti-LGBT. Et même d'assumer simplement leur sexe, en ces temps où être avocat(e) - comme Helen - ou scientifique - comme Barbara - n'est pas vraiment un choix ouvert aux femmes.
Haskel, dessinatrice de couvertures évocatrices pour un magazine pulp, est attirée aussi bien par les hommes que par les femmes. Mais en fait, depuis le départ de son mari quelques années plus tôt, elle n'a jamais eu de liaison sérieuse. Jusqu'à ce qu'elle rencontre Emily. Jeune fille de bonne famille exclue de l'université après avoir été retrouvée au lit avec sa colocataire, celle-ci gagne sa croûte en chantant Chez Mona (le premier bar lesbien de la ville), travestie en homme. Entre elles, le courant passe immédiatement. Haskel fait découvrir à Emily sa ville, et notamment la Foire Internationale qui se tient à l'époque sur Treasure Island. Un bonheur simple, mais fragile...
La novella s'ouvre de nos jours, alors qu'une vieille dame, sentant la mort approcher, déterre d'une cachette secrète dans Chinatown ce qui s'avère être l'original de la dernière oeuvre d'un célèbre illustrateur de pulp. Un dessin à la craie, non fixé et éminemment délicat, qu'elle revend une fortune à un libraire spécialisé qui bave d'envie devant ce graal inattendu. Mais quelle est donc l'histoire de cette peinture ?
Le récit nous plonge alors à San Francisco en 1940. En Europe, la Guerre a commencé, mais aux Etats-Unis la ville des brumes n'est pas vraiment touchée. Nous y suivons plusieurs femmes qui ont pris leur vie en main. Il y a une pointe de magie introduite dès les premières pages avec les "raccourcis éphémères" de Franny, mais qui reste globalement en marge de l'histoire jusqu'au final. L'accent est plutôt mis sur l'ambiance de la ville, le quotidien de nos protagonistes qui mènent une vie de Bohême, avec un rythme assez lent. On sent qu'Ellen Klages aime sa ville, et qu'elle la connait sur le bout des doigts. A l'époque dont il est question, les règles concernant la sexualité sont très strictes, tout ce qui sort de la classique relation homme/femme est considéré comme déviance et puni, et il n'est pas question pour deux femmes de s'embrasser en public, par exemple. Pourtant, nos héroïnes font avec, essayant de passer entre les mailles du filet.
C'est une belle histoire qui mêle amour et amitié entre des femmes fortes, témoignage d'une époque, avec une discrète touche de magie. L'écriture est belle et soignée et porte très bien ce court récit aux relents poétiques. De quoi me donner envie de découvrir d'autres œuvres de l'autrice, assurément !
Pour ceux qui veulent retrouver cet univers si particulier, la brève nouvelle Caligo Lane permet d'approfondir l'ori-kami, art magique du pliage de l'espace pratiqué par Franny la sorcière cartographe ; elle est disponible gratuitement sur les plateformes de vente numérique.