Mureliane : Bonjour Jeanne-A Debats, merci d'avoir accepté cette interview pour Les Chroniques de l'Imaginaire. J'ai eu l'impression que Testament pouvait s'entendre comme une sorte d'hommage aux Grands Anciens, avec tous les guillemets du monde, de l'Imaginaire ?
Jeanne-A Debats : C'est un hommage, bien sûr, et puis un coup de coude dans les côtes, et puis un petit coup de pied dans les couilles, aussi (rires). Mais oui, il y a beaucoup de tendresse et de parodie en même temps. Les deux. Et puis on ne parodie bien que ce qu'on aime bien.
C'est cela, Testament, en fait. Et ça me permet en même temps de faire passer ce que j'ai envie de faire passer en tant qu'écrivain ; c'est-à-dire que, la bit-lit, à la base, c'est quelque chose de très intéressant du point de vue du message puisque c'est une littérature qui a été pensée "pour les femmes", et on leur a présenté des héroïnes qui avaient quand même... une certaine forme de caractère. Je pense à Anita Blake d'abord, ou Buffy contre les vampires par exemple. Donc, c'est aussi un hommage à ce genre de littérature qui était un peu "de gare" et à la fois très subversive. J'ai continué dans le subversif. Enfin, j'espère.
M : Certes. Qu'est-ce qui t'intéresse dans le personnage du vampire ? Est-ce que c'est le côté subversif, justement ?
JAD : Ah oui ! Transgressif et libre à la fois. Et puis je n'arrive pas à imaginer que l'immortalité n'apporte pas une certaine forme de sagesse... quand on n'a que 80 ans devant soi, je veux bien qu'on reste un gros con raciste, par exemple, mais au bout de 500 ans, quand on a vu tout ce qu'on a vu, à moins qu'on soit resté enfermé dans sa grotte pendu au plafond, je ne peux pas comprendre qu'on le reste. Et c'est d'ailleurs ce que ne fait pas Navarre.
M : Et ce qu'a tendance à faire l'autre, là...
JAD : Mais Herfauges il n'est pas raciste, il est juste d'un égocentrisme... fabuleux. Il n'est même pas sexiste non plus. Il ne pense qu'à lui. Les autres, qu'ils soient mâles ou femelles, verts ou jaunes, c'est de la nourriture, ou des adversaires, point. C'est un sale garçon. Il est attachant, quand même, il est rigolo. Moi je l'aime bien.
M : Beh oui. Il est l'archétype même de la séduction, finalement, plus que Navarre, quelque part.
JAD : Alors, le point commun qu'ils ont tous les deux, et qui en fait des êtres séduisants, c'est qu'ils assument. Ce qu'ils sont. Herfauges ne se raconte jamais qu'il agit pour de nobles motifs, et Navarre... pas guère non plus. Et c'est ça qui me les rend intéressants. Et c'est pour cela qu'Herfauges est séduisant, effectivement, parce qu'il n'a aucun remords, puisqu'il assume totalement ce qu'il est. Ce n'est pas un hypocrite, ce n'est pas un bigot, c'est quelqu'un qui va à fond. Alors, en conséquence, c'est aussi un adversaire qu'il faut combattre à fond. Mais il est digne d'intérêt.
M : Qu'est-ce que tu écris à l'heure actuelle ?
JAD : A l'heure actuelle, rien : j'écris les Utopiales (rires), ce qui représente un très gros boulot d'écriture, en fait, en vrai, parce que la rédaction et la conception du programme, c'est un travail énorme. Mais pour le coup, cela absorbe une part tout aussi énorme de mes capacités créatrices et pas seulement au niveau de l'écriture car déléguée artistique c'est aussi être au confluent de synergies diverses, nous créons ensemble avec tous ces gens qui sont l'équipe des Utopiales, Marie Masson, Xavier Fayet, Roland Lehoucq. Ce matin, il a fallu remplacer une table ronde. J'ai attrapé un de mes modérateurs préférés, au pied levé, on a discuté à partir de qui était libre à l'heure voulue, de quoi on pouvait les faire parler, et qui correspondait au thème. Et ça, c'est une activité créatrice en temps réel.
Je ne peux pas écrire pendant ce temps-là. En revanche, j'ai terminé récemment une nouvelle pour Mercury/Galaxies, pour Jean-Pierre Andrevon, qui va paraître donc dans Galaxies, et qui s'appelle Les anges rêvent-iels de lamashires ? Ensuite j'ai une autre nouvelle en cours pour une anthologie qui est une collaboration scientifiques/écrivains, sous l'égide de l'Ecole Polytechnique. Ce sera plutôt autour des problématiques climatiques, de la Cli-Fi, quoi. Et mon sujet est "comment faire un Internet viable dans une économie de récupération et de pénurie".
Et quand j'aurai terminé, je me remettrai à mon roman Aria Stellae, qui est annoncé depuis deux ans maintenant. Mais il se trouve qu'entretemps ma mère a été très malade, et puis est morte, et donc je n'ai pas pu écrire depuis son diagnostic, en fait. Ecrire sur du long cours, ça m'a été totalement impossible. Et là, ça revient, parce qu'elle est morte, et que j'ai cessé de retenir ma respiration. Je suis un peu étonnée que ça se passe comme ça, parce que la dernière fois que j'ai eu à surmonter un décès, j'ai eu quand même un grand vide de... deux ans et demi, quelque chose comme ça, mais peut-être qu'on peut dire que le vide s'est produit avant. Alors il y a trois cent mille signes de ce roman qui sont inscrits, mais ils attendent mon retour.
M : Ce sera sur quoi ?
JAD : C'est l'histoire d'une étoile qui sauve l'humanité.
M : Tu reviens à la SF, donc.
JAD : Ah ça, ça va être de la bonne grosse SF qui tache, avec des vaisseaux spatiaux, des extra-terrestres... Voilà.
M : Tu nous avais pas encore fait les vaisseaux spatiaux, ou je me trompe ?
JAD : Si, il y a une nouvelle, qui d'ailleurs est la base de cette histoire, qui est dans le recueil La vieille Anglaise et le continent, cette nouvelle s'appelle Fugues et fragrances aux temps du dépotoir.
M : Ah oui !
JAD : Et donc ça se passe dans l'univers de Fugues et fragrances, mais des siècles plus tard. Gilles Dumay m'avait dit à l'époque, lorsque j'ai écrit ce texte, que je devrais en faire un roman. Je ne voyais pas comment, parce qu'à l'intérieur de cette nouvelle il y a énormément de changements de temps, il y a toute une construction syntaxique qui va avec le rythme de la nouvelle, qui n'aurait pas tenu sur la longueur à mon avis. Mais j'ai cherché et trouvé un moyen que ça marche sans que ça soit trop chiant, et sans que ça exige énormément d'efforts... Enfin, il y a quand même des lecteurs exigeants qui vont bien voir qu'en changeant de chapitre, là, et de voix, je suis passée à un temps différent. Mais comme le récit est assez fluide je ne suis pas sûre que ça gêne vraiment. Mais il y a une véritable volonté de revenir dans cet exercice-là.
M : Et, sinon, tu vas continuer avec les Utopiales ? Parce que ça t'occupe beaucoup, j'entends bien, et pas seulement pendant le temps du Festival.
JAD : Ah, c'est un boulot à l'année, hein ! C'est-à-dire que je vais arrêter de travailler pour les Utopiales pendant un mois après le Festival, en gros. Et peut-être même pas, parce que nous devons décider du thème pour l'année prochaine. Nous sommes donc tous en train de mouliner ferme dans nos coins de cerveaux, c'est très collégial, comme d'habitude. En même temps, c'est cool ! Moi, j'aime beaucoup ce que nous faisons aux Utopiales. C'est une sorte de happening, une véritable oeuvre d'art éphémère. Le jour où je fatiguerai, je partirai. Et je laisserai la place à quelqu'un de plus jeune, qui aura d'autres idées. Pour l'instant, je suis encore sur la vague, et j'ai encore toujours plein d'idées nouvelles chaque année, mais le jour où je sentirai que ça s'essouffle, j'arrêterai. Parce que c'est un peu comme avec Testament, j'ai décidé dès le départ que ce serait une trilogie et pas plus. Alors, il y avait Métaphysique du vampire avant, mais qui était un peu en-dehors, et que j'avais écrit des années auparavant. Mais il fallait que ça s'arrête. Navarre, je l'aime beaucoup et quelque part, c'est moi. En homme. En vampire. Mais il fallait que je cesse d'être la voix de Navarre, sinon, on allait s'ennuyer tous les deux. Sauf que si je m'ennuie aux Utopiales un jour, ce sera à bien plus qu'à deux.
M : Oui, puis je trouve que la fin de Testament... Dans notre interview précédente, tu me disais que, quelque part, tu avais toujours 13 ans...
JAD : Oui
M : Et là, j'ai eu l'impression que dans la fin de ce troisième tome, c'est comme si l'humanité devenait adulte, avec la disparition progressive des races anciennes.
JAD : Oui, c'est exactement le propos. C'est : "maintenant, va falloir assumer vos conneries, les enfants, parce qu'il n'y aura plus personne pour les assumer à votre place". J'ai tué Dieu. J'ai bien aimé faire ça (rires), j'avoue. Mais c'est aussi une forme de tricherie, parce que je voulais être sûre de pas pouvoir réutiliser Navarre. Mais en fait ce n'est pas vrai.
M : Il reste Navarre, justement !
JAD : Il reste Navarre et on sait, si on a lu le recueil qui est chez ActuSF qu'on le retrouve, et qu'on retrouve un autre dieu, 150 à 200 ans plus tard dans l'espace. Mais c'est cohérent, pour la façon dont on retrouve la Serpente... tu l'as lu ?
M : Métaphysique du vampire, non, je ne l'ai pas lu.
JAD : Alors, c'est une nouvelle qui est dans un recueil dont Métaphysique du vampire fait partie. Parce que Métaphysique du vampire, c'est un petit roman, une novella plutôt, et il y a trois autres nouvelles avec, dont une qui s'appelle La fontaine aux serpents, et qui se passe dans une station spatiale. Et dans cette station spatiale, Navarre est appelé par les membres d'un parti très catholique
M : L'Opus Dei ?
JAD : Genre l'Opus Dei, exactement le même tonneau, pour résoudre le meurtre, ou en tout cas la tentative de meurtre, d'une leader féministe, parce que celui qui est soupçonné c'est le chef de ce parti, qui est son adversaire direct. Mais ce n'est pas lui le meurtrier. Et donc on demande à Navarre de résoudre le problème de voir qui a réellement essayé de tuer cette leader féministe au moment où elle est en train d'essayer de faire passer une résolution qui va permettre l'utilisation d'un utérus extra-utérin. Enfin, d'un utérus artificiel, qui va permettre la naissance d'humains sans mutation non contrôlée. Parce qu'on est dans un monde post-apo, où il y eu... les bombes sont tombées, beaucoup de radiations, etc, et les mutations, elles ne sont pas toujours bonnes, elles sont létales, le plus souvent. Donc, ça permet de refaire l'humanité un peu au carré, on va dire. Mais en même temps, évidemment, c'est dangereux. Et, évidemment, les cathos, l'idée qu'on porte un enfant autrement que dans la douleur, la souffrance et le reste, ce n'est pas possible. Donc Navarre intervient dans ce contexte-là. Et du coup il retrouve un autre dieu qui aurait dû disparaître avec les autres, sauf qu'il était déjà disparu au moment de Humain.e.s trop humain.e.s (je reste quand même un peu dans l'idée que la croyance crée la divinité). Cette leadeuse féministe est la dernière australienne aborigène et elle va mourir, le dieu ne le supporte pas et se réveille. Pour la sauver, elle. Et donc, on se retrouve avec un dieu fou de douleur sur les bras ! Il y a un moment où Navarre dit qu'il a déjà connu ce genre de divinités, elles sont juste psychotiques, il ne faut pas discuter avec. Mais du moment qu'elle a des descendants, elle est calme, donc il fait tout pour la calmer. Il y a un petit espoir que toute spiritualité ne se retrouve pas à la poubelle. Dans Aria Stellae, il y a une ombre qui pourrait être celle de Navarre mais que... je ne dévoilerai pas.
M : A suivre, donc. Jeanne, merci.