Sur cette Lune colonisée du XXIIe siècle, cinq familles élargies se partagent les ressources et le pouvoir, les Cinq Dragons. Qui d'ailleurs, de l'avis de certains, devraient être quatre, étant donné que les Corta, le cinquième, le plus récent, a conquis sa place en exploitant une ressource à laquelle personne n'avait pensé, mais dont les MacKenzie, notamment, premiers à s'être installés sur la Lune, estiment qu'elle leur appartient de droit : l'hélium 3, qui éclaire toutes les villes terrestres. Les MacKenzie, donc, exploitent les métaux, les Asamoah gèrent la nourriture et les lieux de vie, mais aussi l'information, les Sun s'activent dans le domaine politique, se cherchant des alliés et des armes dans leur lutte d'indépendance face à la Chine, les Vorontsov s'occupent du transport.
L'action commence au moment où Marina Calzaghe, une jeune Terrienne récemment arrivée sur la Lune, sauve la vie de Rafael Corta, le fils aîné d'Adriana Corta, fondatrice de la dynastie Corta, et Cinquième Dragon. Les soupçons se portent immédiatement sur les MacKenzie, ennemis de toujours de la famille, même si les pouvoirs en place, qui chapeautent la Lune, ont de longue date imposé des mariages inter-familiaux. Rafael Corta, notamment, est marié à Rachel MacKenzie, qui lui a donné un fils, Robson, ce qui, en fait, constitue une pomme de discorde supplémentaire, comme dans tout couple qui ne s'entend pas.
Le roman se déroule dans un univers riche, chaque famille venant d'une culture terrestre différente, et ayant sa propre organisation sociale et ses propres modes de reproduction, mais indépendamment de cela, il y a les conditions de vie sur la Lune, qui ont suscité l'apparition de sous-cultures originales, telles que les loups lunaires et la Longue Course, et qui imposent une attention de tous les instants pour rester en vie, ce qui suppose de garder son compte assez alimenté pour payer les Quatre Fondamentaux : l'air, l'eau, le carbone, les données.
Le décollage de Ian McDonald, qui nous avait habitués à des romans se déroulant sur Terre, est réussi, ce roman est aussi touffu que les précédents, même si l'auteur a eu l'habileté d'adapter son style à un monde différent, plus brut, plus simple d'une certaine façon. Cela ne veut surtout pas dire que l'intrigue manque de complexité, au contraire : L'univers développé ici met en scène une société qui prend en compte les contraintes physiques et sociales de la planète, et le lecteur a donc beaucoup d'informations à absorber, distillées tout au long du roman, dans les dialogues, ou dans le récit de vie que fait Adriana Corta, par exemple. Par ailleurs, les personnages sont non seulement nombreux, mais crédibles, ce qui implique là aussi des éléments implicites, lesquels ne se révèlent que petit à petit.
Ce premier tome d'une trilogie met en place l'univers et les personnages, certes, mais ne manque vraiment pas d'action, que celle-ci se passe à la surface de la Lune, dans les wagons secrets de Creuset, la cité sur rail des MacKenzie, ou dans les locaux des Corta. Cette lutte pour le pouvoir sur une planète hostile autour d'une ressource vitale m'a irrésistiblement évoqué Dune, de Frank Herbert, d'autant que Bryce MacKenzie fait un Baron Harkonnen plutôt convaincant.
En tout cas, la publication au format poche est une excellente idée, et je ne peux que me réjouir de cette chance qui est donnée à de nouveaux lecteurs de découvrir cette oeuvre puissante, avec ce tome prometteur.