Lady Katherine est une jeune femme responsable. Elle gère les domaines de son père pour que celui-ci puisse s’adonner entièrement à son passe-temps favori, la politique. Elle prend aussi en charge l’éducation de ses cadets, Warren et Elizabeth. Cette dernière lui donne d’ailleurs du souci car elle souhaite se marier avec un Lord désargenté, que Katherine et son père soupçonnent de n’être qu’un simple coureur de dot. Prétextant être amoureuse de lui, Elizabeth est prête à s’enfuir avec ce Lord. Katherine décide donc de la suivre en cachette. Elle emprunte les vêtements de sa servante et s’élance dans les rues de Londres, inconsciente des dangers qui la guettent. Elle qui n’est pas habituée au harcèlement de rue ne sait pas comment réagir quand un malotru l’apostrophe. Fidèle à son caractère, elle menace de le frapper.
Dans sa voiture bloquée en plein embouteillage, le prince Dimitri ne perd rien de la scène. S’il ne trouve pas la jeune servante très attirante, sa réaction l’amuse et il décide de coucher avec elle. Son serviteur va donc à la rencontre de Katherine, qui refuse d’obtempérer, même après qu’on lui ait proposé de l’argent. Il l’enlève donc, fait garder sa porte par des hommes en armes et la contraint à se laver et à manger. Convaincu qu’elle n’acceptera jamais de coucher avec le Prince, il la drogue avec un aphrodisiaque si puissant que toute femme en prenant ne peut être soulagée qu’en ayant des rapports sexuels. Ce que fait le Prince Dimitri en rentrant.
Ce roman m’a mise hors de moi. Je me suis rarement sentie aussi en colère à la lecture d’un texte. Il est déjà arrivé que les romances de la collection bafouent les règles du consentement mais jamais avec autant de décontraction. Celle-ci se base ni plus ni moins que sur un enlèvement suivi d’un viol, la jeune femme n’étant pas en état de donner un consentement éclairé après avoir été menacée et droguée. D’ailleurs, elle-même considère les actes qu’elle a subis comme un crime, même si c’est le valet du Prince qui l’a droguée et non le Prince qui a profité d’elle qu’elle souhaite voir traduit en justice. Voici un exemple de leurs propos le lendemain du viol :
La protagoniste : « Je ne suis pas idiote. Je sais pourquoi on m’a droguée. C’était pour vous permettre de me plier à votre volonté. […] Vous ne tenez pas compte du fait que j’ai été enlevée en pleine rue, jetée de force dans une voiture, bâillonnée et séquestrée dans cette chambre toute la journée d’hier. On m’a insultée, menacée… »
Le protagoniste : « À quoi bon revenir sans cesse sur le fait qu’on vous a séquestrée alors que vous avez fini par prendre du bon temps ? »
C’est l’insistance de la protagoniste à vouloir traduire son valet en justice qui pousse le Prince à la « séquestrer quelques mois » pour reprendre encore une fois les termes des personnages. Bien sûr, comme avec la plupart des romances, tout est bien qui finit bien. Je ne crois spoiler personne en disant que l’amour éclot entre le tortionnaire et sa victime malgré une succession d'autres mauvais traitements, qu’ils se marient, etc.
La mère d’une amie est psy, spécialiste des victimes de viol. D’après elle, les deux cas les plus durs à traiter en termes de séquelles psychologiques se retrouvent ici : le cas où la victime de viol éprouve physiologiquement du plaisir, car oui c’est possible, et ne comprend pas la « trahison de son corps » qui réagit sans qu’elle le souhaite (« si tu as pris du bon temps, ce n’est pas un viol ») ; le cas où droguée ou paralysée par la peur, la victime ne se défend pas activement et voit donc son agression plus difficilement reconnue à l’extérieur (« si tu ne t’es pas débattue, c’est que tu le voulais »).C’est absolument toxique comme situation. Et ça m’est tout bonnement insupportable de lire ce genre de choses dans un roman étiqueté « romance » parce que cela légitime des actions qui n’ont pas à être prises avec autant de légèreté. Non, tout est bien qui ne finit pas bien dans cette romance où, au-delà de la situation de viol initial, la pauvre Katherine est surtout un cas d’école du syndrome de Stockholm.
La notion de consentement a bien évolué depuis que ce roman a été écrit dans les années 1980 et on ne peut sans doute pas entièrement tenir rigueur à l’auteure d’avoir écrit de pareilles choses à son époque. La sous-collection La bibliothèque idéale au sein de la collection Aventures et Passions vise justement à republier des romances anciennes. On peut comprendre que les éditions J’ai lu aient sélectionné cet ouvrage pour les talents de conteuse de son auteure : les personnages sont travaillés, l’écriture fluide et le rythme maîtrisé.
Les lecteurs qui n’ont pas de mal avec la notion de consentement et qui cherchent une romance bien écrite avec un décor un peu atypique pour la collection (la Russie) pourront prendre du plaisir à la lire.