Nous sommes en 1365 en Avignon et Nicolas Eymerich vit depuis deux ans à la cour du pape Urbain V. Sa brillante carrière comme inquisiteur général du royaume d'Aragon lui vaut la réputation d'être l'un des plus farouches et des plus efficaces défenseurs de la foi catholique. Aussi, lorsque le comte de Savoie fait part au souverain pontife des rumeurs évoquant une résurgence cathare sur ses terres, Urbain ne se demande pas longtemps qui envoyer sur place pour mener l'enquête et extirper l'hérésie albigeoise que l'on croyait éteinte depuis un bon siècle.
Une fois arrivé, Eymerich ne tarde pas à découvrir que de mystérieux rituels se pratiquent dans la région de Châtillon, où errent aussi d'étranges créatures hybrides… Ces rituels ont d'étranges résonances tout au long du vingtième siècle, du bunker d'Adolf Hitler à la fin de la Seconde Guerre mondiale aux champs de bataille d'une Yougoslavie démembrée en passant par le Guatemala des années 1950 ou les charniers de Timisoara après la chute de Nicolae Ceausescu.
Pour cette deuxième enquête du terrible inquisiteur, Valerio Evangelisti ne change pas une formule qui gagne. Comme dans Nicolas Eymerich, inquisiteur, les chapitres qui suivent le dominicain de Gérone alternent avec ceux qui dépeignent le présent et le futur de notre monde. Cette fois-ci, ces derniers ne s'attachent pas à un personnage ou une situation en particulier, il s'agit plutôt de vignettes isolées qui constituent autant de pièces d'un engrenage dont le résultat final est rien moins qu'effroyable.
Expériences secrètes, manipulations génétiques, trafic d'organes, rien ne nous est épargné et l'on croirait presque que l'auteur se complaît dans la description des terribles mutations subies par des êtres humains entre les mains de savants tous plus fous les uns que les autres. C'est sordide, glaçant et parfois grandguignolesque (comme ce champ de bataille yougoslave, image hallucinée digne d'un Jérôme Bosch ou d'un mauvais film de science-fiction), surtout que ces passages cochent presque toutes les cases du bingo du pire du vingtième siècle, au premier rang desquelles des nazis partout, jusques et y compris après 1945. Même si l'on apprécie les théories du complot un peu folles, cette partie du livre s'avère en fin de compte assez pesante.
Heureusement, l'Inquisition est là pour apporter un peu de fraîcheur ! Oui, c'est très étrange à dire, mais l'enquête d'Eymerich constitue une véritable bouffée d'oxygène entre deux chapitres anxiogènes sur le futur de notre monde. Quand bien même la situation dans laquelle il se retrouve n'a rien d'enviable, coincé qu'il se retrouve dans une nasse qui semble se refermer toujours un peu plus sur lui, son quatorzième siècle semble tout de même confronté à des problèmes bien moins terrifiants et bien plus faciles à résoudre. Il est vrai que l'inquisiteur reste adepte des méthodes peu orthodoxes pour obtenir la vérité…
Son portrait gagne en nuances par rapport au premier tome de la série : le personnage paraît plus vulnérable, moins monolithique, même si sa foi dévorante et sa misanthropie non moins dévorante restent les deux pierres angulaires de sa personnalité. Son entourage bénéficie également d'une meilleure caractérisation que les personnages secondaires de Nicolas Eymerich, inquisiteur, qu'il s'agisse de l'équipe inquisitoriale qui l'accompagne ou des adversaires qui cherchent à l'éliminer. L'enquête est encore une fois menée de main de maître par Evangelisti, qui dose suspens et coups de théâtre avec une adresse consommée.
Les chaînes d'Eymerich est un livre curieux : à la fois meilleur que le premier tome de la série et moins agréable à lire. Il vaut mieux avoir le cœur bien accroché pour se plonger dedans.