Les Chroniques de l'Imaginaire

Tolkien et la grande guerre - Garth, John

On ne présente plus J.R.R. Tolkien. Le père de la fantasy moderne bénéficie depuis longtemps d'une aura mythique dans le monde anglophone. Il aura fallu davantage de temps à la francophonie pour apprivoiser Le seigneur des anneaux et Le hobbit, mais depuis le tournant du millénaire, bien aidés par le succès phénoménal des adaptations cinématographiques de Peter Jackson, ils font désormais partie de ces livres que tout le monde a lu, ou du moins connaît suffisamment pour ne pas être complètement perdu en entendant leurs titres au cours d'une conversation. Malgré cela, l'homme reste assez méconnu, comme en témoigne l'accueil tiède réservé par la critique et le grand public au biopic sorti au printemps 2019.

Tolkien et la grande guerre n'est pas le premier livre à se pencher sur la vie du professeur d'Oxford, mais c'est le premier à s'intéresser à une période charnière de sa jeunesse, celle de la Première Guerre mondiale. Et, autant le dire tout de suite, le travail de John Garth est d'une telle qualité qu'un deuxième ne s'imposera pas de sitôt ! C'est un mélange dosé à la perfection d'érudition et de qualité d'écriture, une belle plume au service de recherches approfondies. Le cadre dans lequel évolue Tolkien est dépeint avec précision et talent, qu'il s'agisse de l'atmosphère insouciante et feutrée de l'université d'Oxford ou des tranchées de Picardie où tout n'est plus que boue, froid et terreur constante.

Les nombreuses citations des lettres écrites et reçues par Tolkien redonnent vie au jeune homme qu'il était à l'époque et à ses amis Christopher Wiseman, Rob Gilson et G.B. Smith. Les quatre amis, qui forment un club semi-sérieux, le TCBS, partagent une passion aussi franche que sincère pour les arts. C'est dans ce contexte que sont plantées les premières graines de la Terre du Milieu, avec les premiers poèmes concernant le marin légendaire Éarendel que l'on retrouvera bien des années plus tard dans Le Silmarillion, ainsi que les textes en prose du Livre des contes perdus, commencés sur un lit d'hôpital en Angleterre.

John Garth entrelace avec soin ses deux sujets en alternant régulièrement les passages traitant des poèmes et langues inventées avec ceux d'ordre biographique où il retrace les faits et gestes de Tolkien, ses déplacements et ceux de ses amis sur le front (des cartes sont fournies). Les deux aspects n'étant pas étanches, il se demande aussi dans quelle mesure son œuvre s'est nourrie de son expérience au front et de la douleur d'avoir perdu deux amis proches (ni Gilson ni Smith n'ont pu fêter leur vingt-cinquième anniversaire), et dans quelle mesure on peut comparer Tolkien à d'autres « écrivains de la guerre » britanniques, comme Siegfried Sassoon ou Wilfred Owen.

Tous les lecteurs de Tolkien trouveront leur compte dans ce livre. Même ceux qui ne le connaissent pas auraient tort de passer à côté si la Première Guerre mondiale fait partie de leurs centres d'intérêts.