Les Chroniques de l'Imaginaire

Dans les forêts de Sibérie - Dureuil, Virgile & Tesson, Sylvain & Dureuil, Virgile

Pour l'heure, Sylvain Tesson se trouve dans un supermarché de la ville d'Irkoutsk, en Sibérie. Nous sommes au début de février 2010, et le personnage s'apprête à se lancer dans une aventure peu banale : il s'est mis en tête de passer six mois en Sibérie, sur les bords du lac Baïkal. A cet endroit, c'est la nature, avec ses conditions d'une grande rudesse, et le silence qui sont les plus présents. Sylvain en est à faire ses derniers préparatifs pour passer ces six mois d'introspection. Il s'est muni de nourriture en quantité, bien entendu, mais aussi de vodka, et de tous les livres qu'il n'a jamais forcément eu le temps de lire...

Le voyageur sera isolé durant cette période, et il le sait bien. Même s'il aura tout de même quelques voisins locaux, à cinq heures de marche vers le Nord, ou une journée complète vers le sud... Les préparatifs sont maintenant terminés, et c'est dans un petit cabanon muni d'un poêle à bois, donnant sur les bords du lac, que Sylvain va maintenant pouvoir vivre avec lui-même, bien loin du tumulte des grandes villes.

Le début de l'expérience ne se passe pas comme attendu : un groupe de jeunes Russes est venu s'installer près du cabanon, afin de faire la fête sur les bords du lac, le temps d'un week-end. Le silence n'est pas de mise, pour Sylvain, qui voit le départ du groupe en question comme une bénédiction. Enfin, l'introspection peut démarrer. Et elle est au départ faite de travaux physiques : Sylvain affûte son couteau, indispensable à cet endroit, et il fend du bois afin de pouvoir se chauffer. Les températures, en février, sont extrêmement basses, et cela n'empêche pas Sylvain de partir en reconnaissance autour de son cabanon, et notamment sur le lac gelé, parcouru par des vents glaciaux...

L'ordinateur de Sylvain n'a pas supporté les amplitudes de température importantes, et le téléphone satellite ne capte rien. De quoi se retrouver seul avec les souvenirs, notamment au moment où son père fête son anniversaire avec la famille et les amis, en France, dans des écuries transformées en restaurant. Nous sommes maintenant en mars, et s'il arrive que Sylvain reçoive la visite de locaux, il passe aussi beaucoup de temps à découvrir la région, dans d'interminables randonnées qui amènent la neige jusqu'au niveau des genoux. La nature, implacable, est elle aussi bien présente, avec des lynx, des loups et des ours qui, pour le moment, hibernent encore... Sylvain est le témoin de la déforestation de sapins, du lac qui va bientôt dégeler, et des poissons qui sont présents par centaines dans le lac, une fois qu'on s'est donné la peine de percer la glace pour pêcher...

C'est à Virgile Dureuil que l'on doit cette bande dessinée qui paraît chez Casterman, et qui raconte une véritable tranche de vie vécue et rapportée par Sylvain Tesson. Le livre se déroule lui aussi sur six mois, et il est un véritable témoignage du réveil de la nature, entre février et la fin de l'hiver sibérien, et juillet et l'arrivée de l'été, avec une nature qui devient foisonnante dans ces contrées sibériennes.

Evidemment, on ne peut que s'attacher au personnage de Sylvain Tesson, et le livre est raconté de telle manière qu'on ne peut que l'envier, à un moment où l'écologie prend une place de plus en plus importante dans nos vies. Suivre cette expérience est, ainsi, une véritable bouffée d'oxygène, même si le lecteur partage aussi les doutes et les grands moments de solitude de l'aventurier. On en vient à s'inquiéter pour la réserve de bois, pour le danger que représenterait le fait de tomber dans les eaux gelées du lac Baïkal, ou le fait de tomber nez à nez avec un ours, lorsque les mois d'avril et mai font leur apparition. Et on se rassure au moment où on sait que deux chiens accompagneront Sylvain pour son expérience d'aventurier.

Les dessins de Virgile Dureuil sont parfaitement adaptés, et ils ne sont pas sans faire penser à un one-shot comme Construire un feu (de Christophe Chabouté), même si ce dernier est bien plus tragique, et ne se situe pas du tout au même endroit. C'est beau et détaillé, sans prendre le pas sur un récit fait de nombreuses voix off, forcément. La lisibilité est de mise ici, et c'est la grande force d'un livre qui nous prend véritablement aux tripes et qui joue aussi sur l'envie que l'on pourrait avoir d'être à la place de Sylvain, ne serait-ce que pour quelques jours.

Un livre d'aventure autobiographique admirable, plein de richesse et d'intelligence humaine. L'écologie n'est jamais bien loin, et on se dit que le livre est à mettre entre un maximum de mains !