Au moment de sa séparation d'avec Carmina, avec qui il était depuis des années, Simon Cadique décide de prendre du champ. Il a l'impression d'avoir trop longtemps galvaudé son talent de réalisateur dans des séries alimentaires, qui ne correspondent pas véritablement à ce qu'il a envie de faire. Son désir, enfoui depuis longtemps, est de réaliser un documentaire sur les frères Caudron, pionniers de l'aviation injustement oubliés de nos jours. Pour ce faire, il retourne dans son village natal du Crotoy, en baie de Somme, où les Caudron avait installé une école d'aviation et leur hangar de fabrication.
Il retrouve avec émotion des amis d'enfance perdus de vue depuis longtemps : Benjamin Yourfly, gérant de l'hôtel de la Butte depuis la mort de sa mère, "Billy Budd", c'est-à-dire Billy Lejeune, brocanteur qui a géré la maison des parents de Simon depuis leur mort, en faisant au passage un bon bénéfice sur la vente de leurs biens, Pierre Wassigne, le pécheur de crevettes, et d'autres, moins proches mais bien connus néanmoins. Toutefois, peu après son arrivée il fait la rencontre d'une mystérieuse inconnue qui disparaît soudainement, et lui-même est emporté ailleurs par ce qui semble être un phénomène temporel. Peu à peu, il se rend compte que la même chose est arrivée à d'autres, et que ses amis sont également conscients du phénomène.
Le mouvement de balancier du temps, qui s'amplifie peu à peu, devient vertigineux sur la fin, et je crains qu'il n'ait quelque peu emporté l'auteur dans son sillage, étant donné qu'il s'obstine à placer 1912 au XIXe siècle, et inversement ne voit que deux siècles d'écart entre la même année 1912 et 2227. Par ailleurs, la fin m'a semblé un peu facile, au sens où on ne saura rien de la cause du phénomène, ni du lieu où part Simon. Cela dit, avec un nom pareil, il n'y a somme toute rien d'étonnant à ce que la réalité devienne étrange...
Pour moi, ce roman est très intéressant d'une part par la peinture que fait l'auteur de la baie de Somme à différentes époques, et de l'impact qu'a l'évolution du lieu sur ses habitants, et d'autre part par ses aspects spéculaires. En effet, les deux couples père-fille que représentent les Léontov d'une part et les Schlossberg d'autre part ont quelque chose des deux plateaux d'une balance entre lesquels Simon oscille. D'une façon similaire, Pierre Wassigne, comme Benjamin Yourfly, savent dans quel temps ils souhaitent vivre, si leurs choix sont opposés, alors que la question ne paraît pas se poser pour Simon, dont la décision est déterminée par un autre facteur. Par ailleurs, j'ai été frappée de constater combien les décalages semblent s'accentuer du moment où Simon ne se contente plus de son corps biologique comme enregistreur des évènements, mais fait appel à cette fin à des prothèses de plus en plus sophistiquées, de l'appareil photo numérique à la caméra intégrée à une paire de lunettes.
Ce roman frôle l'uchronie sans y tomber, se bornant à l'évoquer en passant à la toute fin, Du même coup sont tout juste mentionnées les conséquences, bien connues des amateurs d'histoires de voyage dans le temps, de modifications du passé. L'auteur a pris le parti de mettre davantage en relief les relations généralement conflictuelles des "indigènes" et des "envahisseurs" temporels, ce qui oriente l'intrigue dans une direction un peu différente.
Nul doute que cette histoire aux détails originaux plaira à la fois aux habitués de l'oeuvre du grand auteur de SF français, et aux amoureux d'une région où il est finalement logique que le flou des limites élémentaires s'applique tant dans le temps que dans l'espace.