Les Chroniques de l'Imaginaire

Edgar, Silène

Mureliane : Silène Edgar, bonjour !

Silène Edgar : Bonjour.

M : Merci d'avoir accepté de répondre à cette interview pour Les Chroniques de l'Imaginaire. Sur notre site, j'ai chroniqué Les Affamés.

SE : Oui. Merci.

M : Je l'ai beaucoup aimé, c'est l'un des romans dont je me souviens pour 2019, vraiment.

SE : Oh, je suis très touchée, alors !

M : Et je me demandais ce qui avait inspiré Les Affamés.

SE : À l'origine, je me posais cette question de la santé à tout prix. C'est un texte que j'avais dans l'idée depuis un petit moment, quand on a commencé à voir des injonctions gouvernementales, comme sur la cigarette ou l'alcool. Pour moi, ce n'était pas uniquement pour des questions de santé : avec une certaine mauvaise foi, l'Etat gagne beaucoup d'argent grâce à l'alcool, ou grâce au tabac. Et puis, il y a eu ce moment où il a fallu manger 5 fruits et légumes par jour ; toutes ces recommandations, qui en soi sont très saines, sont injonctives. Ce qui m'avait frappée à l'époque où ils ont fait la première campagne "mangez 5 fruits et légumes par jour", c'étaient ces gens dans le métro qui crevaient la faim, qui demandaient des petites pièces, juste à côté de ces affiches de santé injonctives. Et je me suis dit "Il y a un décalage, il y a quelque chose qui ne fonctionne pas." Il y a des gens dont on ne s'occupe pas et à côté de ça un mode de communication injonctif. Du coup, dans Les Affamés, j'ai poussé le curseur : et si ça devenait une injonction de société encore plus importante, qui supposerait qu'on perde ses droits sociaux, si on ne prenait pas soin de soi ? Je pense que malheureusement, ce sont des choses qui sont en train d'advenir, par exemple pour les mutuelles, pour les prêts dans les banques : le fait d'avoir une bonne santé devient essentiel. Et comme la science évolue, et la médecine évolue beaucoup, on peut prédire de plus en plus de choses, alors ça commence à traverser l'idée des mutuelles et des banques de dire que si jamais les gens n'ont pas prévu qu'ils avaient tel ou tel risque de santé, leur responsabilité serait engagée et leurs assurances caduques. Ce sont des choses qui, malheureusement, adviennent déjà. Donc ça c'était la première chose. C'est assez difficile et très politique comme thème. J'écris beaucoup en jeunesse d'habitude. Pour les ados, je tends vraiment vers la lumière, vers quelque chose de positif, tout simplement parce que le héros, ou les héros, sont supports d'identification à cet âge-là. De fait, dans ma vision, on ne peut pas faire trop de mal à ce héros-là parce que si le jeune s'y identifie, et qu'on lui fait subir des choses atroces, d'un point de vue éthique, je trouve ça problématique. Alors que les adultes sont capables d'avoir cette distance, je pense. Et du coup, comme ils ont cette distance, on peut leur proposer une réflexion peut-être plus difficile, plus dure à lire, on peut faire plus de mal au personnage principal, ou même choisir un héros mauvais. Non pas que les jeunes soient stupides, hein, du tout, au contraire, ils sont très exigeants, mais il faut leur amener les choses d'autre manière. Moi, c'est ce que je fais, en tout cas.

M : Et justement, pourquoi est-ce que vous écrivez plutôt pour la jeunesse ? Parce que je crois que Les Affamés est votre seul roman pour l'instant destiné aux adultes ?

SE : Alors j'avais fait une novella, Fortune cookies, en 2014, qui était sortie en numérique avec du coup un faible retentissement, mais j'étais très contente de le faire parce qu'elle n'aurait pas été publiable après puisque j'y dénonçais l'état d'urgence, un an avant que l'état d'urgence soit institué en France, donc elle a été dépassée rapidement par l'actualité. Et en plus à la fin il y avait un massacre dans des locaux de presse - la télé, en l'occurrence - et forcément quand Charlie est arrivé, c'était plus possible de publier ça, parce que ç'aurait été de la récupération, ç'aurait été dégueulasse. Donc, ça c'était un texte, un premier texte. J'avais fait un petit texte de fantasy pour adultes, aussi, pour m'amuser, Féelure. Et puis après, voilà, il y a eu Les Affamés. J'aime autant m'adresser aux jeunes parce que je me dis que les adultes ont d'autres livres, que j'admire. Peut-être que, pendant un temps, j'ai ressenti un syndrome de l'imposteur. Alors qu'en jeunesse, en tant qu'enseignante, et grosse grosse lectrice de littérature jeunesse, j'ai les billes et les compétences pour écrire pour eux. En littérature pour adultes, moins, donc j'avais moins confiance. Mais ce n'était pas tant ça en fin de compte. C'est surtout que j'ai envie de m'adresser à la jeunesse parce que je crois qu'ils peuvent faire bouger les choses, et qu'il leur manque juste des discours qui s'adressent à eux de manière beaucoup plus respectueuse de ce qu'ils sont en tant que personnes. Et ça, de faire partie de cette vague qui a pris au sérieux cette jeunesse-là, j'en suis très heureuse et c'est vraiment ce qui m'intéresse. Ça a fait des Greta Thunberg aujourd'hui, et des jeunes gens qui savent qu'ils ont une tête et qui s'en servent pour agir, même quand les vieux barbons considèrent encore qu'ils sont trop jeunes.

M : J'entendais récemment Jasper Fforde dire que nous avions besoin de jeunes qui lisent parce que le monde actuel manquait terriblement d'empathie, et que c'est en lisant qu'on apprenait l'empathie.

SE : Oui, je crois, et même plus que ça. Je pense qu'on apprend l'empathie, et qu'on va même vers la compassion. Pas au sens chrétien du terme. L'empathie, c'est recevoir, la compassion c'est recevoir et agir. Et c'est ce que j'ai envie de faire : l'idéal serait que, quand ils finissent un de mes livres, ou qu'ils lisent d'autres livres d'autres auteurs que je mets en avant, qu'ils aient une petite cartouche de plus. Et, qu'ils soient d'accord ou pas, qu'au moins ça les fasse réfléchir. Et puis en même temps qu'ils s'évadent, aussi, qu'ils se fassent plaisir ! Ils sont à un âge où des fois ils voient un petit peu par le bout de la lorgnette, parce que tout d'un coup ils se dessillent, ils sortent de l'influence parentale, ils ouvrent les yeux sur ce qui se passe, mais ils n'ont pas encore un angle de vue très grand. Ils ont l'acuité mais ils n'ont pas toujours les connaissances et la capacité à aller chercher un petit peu partout. Ils le découvrent peu à peu. Et les livres, j'en suis persuadée, leur donnent plein d'éléments pour ça, de manière très libre, parce qu'ils lisent s'ils ont envie. Et ils vont chercher ce qu'ils souhaitent dans les livres, ça ne leur est pas imposé. Quand on enseigne, on leur impose quelque chose, c'est une relation d'autorité voulue par l'institution.

M : Quels sont vos travaux en cours, là ?

SE : Alors, je suis en train de travailler sur la correction de 8 848 mètres, qui est un roman qui va paraître chez Casterman en avril, et qui raconte l'histoire de Mallory, une jeune fille de quinze ans qui part faire l'Everest avec son père, côté tibétain. Et qui, pendant ce temps de préparation - parce que le roman se passe sur les deux mois d'expédition - va d'une part rencontrer la culture tibétaine, s'interroger sur ces gens qui s'occupent d'eux pendant ces deux mois, et aussi s'inquiéter de la nature qui l'entoure, parce que les alpinistes qui vont faire l'Everest polluent beaucoup. Elle-même, du coup, va s'interroger sur ce qu'elle vient faire là : une performance ? un challenge avec son père ? A quoi ça sert ? Et donc elle grandit, là-dedans. C'est une montée... initiatique (rire). Alors la particularité de ce texte, c'est que je n'ai écrit aucune pensée, tout passe par la sensation. Ce qui est un pari. Parce que du coup on ne sait pas ce qu'elle pense, mais on est quand même dans son corps en permanence : on voit avec elle, on sent avec elle, on souffre avec elle aussi, parce que c'est pas toujours simple, mais on ne sait pas ce qu'elle en pense, de tout ça. Sinon, je m'amuse, à essayer des textes pour les plus petits : je fais un album pour les tout-petits, L'arbre lit, qui sortira, pareil, en mars-avril, chez La cabane bleue, et un mini-roman pour les CE1-CE2, chez Scrinéo, dans la collection de Cassandra O'Donnell. C'est On a tué la petite souris, l'histoire d'une petite jeune fille qui s'aperçoit que la petite souris est morte et qu'il faut la remplacer. Je me suis amusée, mais derrière il y a quand même toujours toute une réflexion. Dans L'arbre lit sur la lecture, la transmission et dans On a tué la petite souris sur le fait que cette petite jeune fille, là, elle devient active, elle va chercher la magie sur la montagne, elle met toute la famille au pas pour remplacer la souris... J'avais envie d'essayer un petit peu autre chose.

M : Comment est-ce que vous écrivez ?

SE : Alors... je porte les histoires très longtemps. Pendant des mois, voire des années. Les Affamés, par exemple, j'ai retrouvé des traces du texte, sur mon disque dur, jusqu'en 2011, alors que j'ai commencé à écrire vraiment en 2017. Et puis, il y a un moment où c'est prêt, où le puzzle est constitué dans ma tête, et où je peux me mettre à l'écriture. Et après c'est comme une eau qui coule : tant que ça coule bien, j'écris, ça peut être deux jours, deux semaines, puis à un moment il y a quelque chose qui bloque, une scène que je n'arrive pas à visualiser suffisamment, et je vais m'arrêter, pareil, pendant deux jours, pendant deux semaines, et puis de nouveau ça va couler. Maintenant que je n'enseigne plus, que je n'ai que ça à faire, c'est difficile, parce que du coup quand je n'écris pas j'ai l'impression de rien faire. Avant c'était plus facile parce que comme j'enseignais, de toute façon je n'avais pas beaucoup le temps donc ça s'accumulait et quand ça sortait ça fusait ! Là, de fait, je me laisse ce temps, je me dis que c'est comme ça. D'autres personnes fonctionnent différemment, et personne n'a de réponse sur la manière dont ça marche, et même moi, j'ai vraiment du mal à l'expliquer.

M : Et vous dites que vous êtes une grosse lectrice, est-ce que vous sauriez, ou est-ce que vous souhaiteriez, ou pas, identifier des influences possibles ? Quel.le.s sont les auteur.e.s, ou les œuvres, qui vous ont le plus marquée ?

SE : Je suis très marquée par les œuvres poétiques. J'entends la musique de la poésie. Et rien ne m'émeut plus que de lire un poème. De fait, dès que je suis dans des livres qui ont cet aspect poétique, descriptif, je suis très heureuse. C'est comme au cinéma quand il y a une belle photo, même si le film est mauvais, je peux être enchantée. Là, en ce moment, j'accompagne un ami qui vient de sortir Rivages chez Albin Michel Imaginaire, Gautier Guillemin, et c'est très très poétique, c'est très beau, c'est immersif. Ça me touche beaucoup, ce genre de choses. Après, je lis énormément de littérature jeunesse et j'apprécie les auteurs qui ne sont pas dans une pédagogie forcée, qui proposent quelque chose d'intéressant, de nouveau, et une réflexion. Souvent une réflexion politique, pas manipulatrice, mais quand même une réflexion sur la société. Du coup, j'aime bien la SF, évidemment, enfin, l'anticipation surtout, j'aime bien la fantasy quand elle est poétique et politique, je lis beaucoup de BD. Et puis après, en blanche, ça dépend, quand on me conseille des choses. C'est aussi au gré des boîtes à livres, et des copains ! Je lis beaucoup les copains, aussi, ou les gens avec qui je suis en conférence, tout simplement pour savoir ce qu'ils font. Là j'ai lu Cogito, de Victor Dixen, parce que demain on est en table ronde, puis j'aime beaucoup Victor, donc c'est intéressant. Je lis Jo Walton parce qu'elle est là, alors j'avais envie d'en profiter. Je suis en train de lire Pierre-de-vie, je trouve ça très beau.

M : C'est intéressant que vous me parliez de ça, parce que je l'ai interviewée tout à l'heure, et elle me disait que ç'avait été un cauchemar à écrire, parce qu'il y a plein de défis compliqués qu'elle s'était fixé, en fait, pour le faire. Il me semble que la nourriture a une importance particulière dans ce que vous écrivez.

SE : Oui.

M : Et justement, dans Pierre-de-vie, c'est l'intendante, celle qui nourrit...

SE : C'est vrai ! (rires) Oui, la nourriture c'est important parce que c'est un mode de communication pour moi. Faire à manger, c'est essentiel. Et dans Les Affamés, Charles, même si c'est un sale bonhomme par plein d'aspects, il fait à manger pour les autres. Et pour lui, c'est un don, il prend soin, il choisit avec soin ses produits, ce qu'il a à donner. Ce n'est pas une mauvaise personne, même s'il y a plein de choses qui ne sont pas très sympathiques chez lui. Mais au moins, il fait à manger pour les autres.

M : Oui, c'est quelqu'un de généreux.

SE : Oui. Et c'est facile à faire, la nourriture, de faire un bon repas. Enfin, ce n'est pas facile de cuisiner, mais je veux dire pour lui c'est plus facile que de faire un roman, ou que d'être une bonne personne pour sa femme, pour ses enfants. Sa façon d'être un bon père, c'est de faire un bon repas à ses enfants. Et c'est pour ça que dans le roman, avec son fils, la communication est complètement coupée : parce que son fils ne mange que des gélules, et il fait attention à son poids... Du coup, vraiment ils n'ont rien à se dire : il ne lit pas, il ne mange pas, quelle tristesse !

M : Quand on a un père écrivain et gourmand, c'est dur, c'est sûr ! Nous sommes revenues aux Affamés. Qu'en diriez-vous de plus ?

SE : Je me rends compte que même si j'ai mis à distance Charles parce que c'est un cinquantenaire, blanc, un homme, ça n'empêche qu'il y a eu des moments où il a fallu que je me creuse un petit peu dans la carcasse pour aller chercher des choses et pour moi le fait d'écrire, comme de cuisiner, est un mode de communication. J'ai essayé la danse, le théâtre, le dessin, la musique, pour essayer de traduire ce que j'avais envie de dire, et c'est la littérature finalement qui m'a permis de le faire et d'être entendue. Et Charles c'est la même chose. Et l'autre seule manière simple pour lui, c'est la nourriture. Et en fait, j'ai l'impression, parce que maintenant la littérature est mon métier, que je me replie un peu sur moi-même, et que c'est dans cet acte-là que je communique. Mon cercle s'est restreint : ma famille, mes amis très proches. Et puis après, quand je veux communiquer avec l'extérieur, il y a les livres. Et pour énormément de choses, maintenant je n'ai plus envie de parler, j'ai juste envie de répondre à certains interlocuteurs insistants : "Écoute, j'ai réussi à synthétiser ce que j'avais envie de dire dans le livre, prends-le librement - comme avec la jeunesse - prends-le librement, si tu veux qu'on en reparle après, je suis là, mais comme ça on ne sera pas dans une bataille de mots, dans des débats pas forcément toujours très utiles, et toujours très réducteurs." Le débat, je m'y sens de moins en moins bien. Alors que le livre, j'ai passé des mois à le faire, donc il est exactement comme j'avais envie qu'il soit. Et en plus, on est vraiment dans une communication très respectueuse de l'autre puisqu'il peut le lire quand il veut, au rythme qu'il veut, il peut le laisser tomber. Donc je me sens très tranquille, de fait, il y a plus de conflits. Et je crois que Charles, il fuit les conflits, aussi. Il les fuit terriblement, c'est trop difficile pour lui. Donc je pense que là, on touche à quelque chose de personnel dans la construction de ce personnage, ce qui n'a pas été simple. C'est difficile d'aller creuser certaines choses en soi. Ou de s'apercevoir après coup qu'on a mis autant. Mais ce n'est pas grave, c'est bien, je n'ai plus cette réserve que j'avais avant. C'est vrai que quand on écrit en jeunesse, comme on ne veut pas manipuler, on se met quand même beaucoup plus à distance. En me mettant trop en dedans, en moi-même, j'aurais peur de perdre pied et de faire quelque chose qui soit pour la jeunesse vraiment une manipulation. Et ça c'est quelque chose que je ne veux pas faire, vraiment pas. En adulte, j'ai lâché plus de choses. Je l'ai vu aussi dans un court texte, très réaliste, que j'ai sorti, Ce caillou dans ma chaussure. C'est de l'auto-fiction, donc là, c'est sûr j'ai pris dans ma carcasse. Mais toujours avec cette distance que permet la littérature : ça reste un objet littéraire, ce n'est pas une autobiographie. Et puis même si c'était une autobiographie, c'est de toute façon forcément toujours une construction. Et ça c'est intéressant. C'est un jeu ! Si j'aime écrire, c'est aussi parce que c'est drôle, ça m'amuse, et je m'éclate à faire ça ! Intellectuellement, c'est passionnant. Là, sur 8 848 mètres, de réussir sur 350 000 signes à pas mettre une pensée... Je bossais avec Vincent Villeminot et il y a une ou deux fois où je me suis plantée. Il me dit "T'es sûre, là ? Elle pense !" "Ah zut !" (rires) Et du coup il me dit que ça marche très bien parce que c'est très nerveux, de fait. Comme j'aime jouer, je me lance toujours des défis. Dans Les Affamés, c'était de faire du discours indirect libre quasiment tout du long. Et du coup même si c'est un roman qui est à la troisième personne, on a l'impression d'entendre quelqu'un parler quand même. Ça c'était mon défi stylistique sur Les Affamés. Et à chaque fois je me donne, comme ça, un petit truc pour aller plus loin, mais pas de manière gratuite, ça a toujours du sens avec le livre. Dans 8 848 mètres, on est dans la sensation parce que de toute façon c'est une alpiniste et donc ce qui compte c'est ça...

M : C'est le corps qui est en jeu.

SE : C'est ça. Charles, dans son corps... enfin, j'aurais eu du mal (rires) ! Parce qu'il n'est pas très bien dans son corps, ce pauvre homme !

M : Mais le problème, c'est qu'il est bien nulle part ! Il n'est pas bien dans sa tête, non plus.

SE : Non plus, non, et quelque part je le dis dès le début, que de toute façon il va très mal et en fait on le voit sombrer, mais de toute façon dès la première page il est complètement paumé, ce pauvre homme.

M : Oui, et c'est aussi ce qui le rend touchant et attachant, parce qu'il ne le sait pas, tout en le sachant, sans le savoir.

SE : Il essaye de survivre et quand Salomé arrive, du coup... Évidemment, il y a le côté : bon, il a 50 ans, elle en a un peu plus de 20, mais lui, au point où il en est, c'est peut-être la seule lumière : c'est vraiment de la survie, aussi. Et du coup j'avais envie de faire quelque chose de chouette entre eux, parce qu'elle-même, la petite louloute, elle est quand même pas très bien non plus dans sa vie, et elle est manipulée. De fait, cet homme-là, il lui apporte aussi quelque chose, de très fort. Parce qu'elle est sa bouée, mais il est sincère avec elle. Il a vraiment besoin d'elle, et il a aussi vraiment des choses à lui donner. Il la considère.

M : Et ça, j'ai trouvé que c'était vraiment très très bien réussi.

SE : Oui ? J'avais peur que ce ne soit pas le cas.

M : Personnellement, j'ai trouvé que ça passait très bien. Après, il y a des choses que j'ai trouvé.. pas crédibles, mais pas du tout au niveau des personnages. Je veux dire : qu'il retrouve intacte la chambre de son frère, j'y crois pas. Mais c'est un détail, on s'en fout, à la limite.

SE : Il y un point où on est tellement dans la métaphore, dans ce texte-là, c'est tellement quelque chose à déplier, c'est un origami : j'y ai mis énormément de choses, et j'ai replié ça et j'ai fait un origami. Il y a certains moments où en effet, il y a un raccourci.

M : Et une cheville apparaît.

SE : Voilà. Et je pense qu'en travaillant plus, j'aurais pu sans doute mieux plier encore mais j'avais peur, parce que j'ai énormément plié déjà, j'avais peur que ça finisse par être incompréhensible. Et que finalement, de temps en temps, les chevilles apparaissent ne me gêne pas. Enfin, c'est un parti pris. Ce n'est pas seulement une faiblesse dans la narration, c'est que c'est tellement de couches et de sur-couches que des fois la métaphore est visible, elle est surlignée. Après, bon ça va toucher ou pas, il y en a qui vont aimer telle ou telle chose... ça... c'est aussi des essais, hein ! On propose un plat, des fois c'est trop salé, mais c'est des questions de goût, aussi ! Je n'ai pas la prétention de faire un plat qui plaise à tout le monde (rires).

M : Silène Edgar, je vous remercie beaucoup pour cette interview.

SE : Merci.