Nous sommes en 1360 en Avignon et une nouvelle mission se profile pour l'inquisiteur Nicolas Eymerich. Alors qu'Anglais et Français se préparent à mettre fin à plusieurs décennies de guerre en signant le traité de Brétigny, une nouvelle étrange menace de remettre en question les pourparlers : des soldats français auraient attaqué et massacré un groupe de diplomates anglais à Rocamadour. Ce qui est étrange, c'est que ces soldats avaient tout l'air de morts-vivants… Le pape Innocent VI, qui a tout intérêt à ce que les deux grands royaumes chrétiens concluent la paix, s'empresse d'envoyer Eymerich voir de quoi il retourne. Accompagné du père Jacinto Corona, l'inquisiteur aragonais se met en route. Il connaît bien le sud de la France, mais les années de guerre ont rendu cette région très dangereuse. Entre mercenaires en maraude et prédicateurs fous, sa mission ne sera pas de tout repos.
Ailleurs, à une autre époque, un trio de Jésuites mené par le père Corona enquête sur les légendes entourant un certain saint Mauvais, qui n'est autre qu'un avatar d'Eymerich. Perdus dans une ville anonyme noyée dans les brumes dont les habitants présentent d'étranges mutations et conversent en s'échangeant des versets bibliques, ils croisent le chemin d'un malheureux inspecteur des finances et d'une jeune fille qui cherche à protéger à tout prix sa petite sœur. De quoi retourne-t-il exactement ? Le palindrome du carré Sator serait-il la clef de tout ? Et quel est ce mystérieux endroit, le Cherudek, où un Eymerich désincarné préside un tribunal de l'inquisition non moins mystérieux ?
On ne peut pas accuser Valerio Evangelisti de se reposer sur ses lauriers. Ce cinquième tome des aventures de Nicolas Eymerich est non seulement deux fois plus long que les précédents, mais il se détache aussi de la formule que suivaient ces derniers. Il présente toujours une structure en entrelacs qui alterne entre l'enquête de l'inquisiteur du quatorzième siècle et d'autres événements, mais cette fois-ci, les chapitres sans Eymerich ne prennent place ni dans le présent, ni dans le futur, mais dans une zone grise indistincte, un monde apparemment dénué de raison où les rues portent les noms des Pères de l'Église, les gens se comportent de manière irrationnelle et les insectes saignent. Comme d'habitude, c'est au fil des chapitres que la lumière se fera peu à peu jour, jusqu'à la révélation finale. D'ici là, le lecteur va souvent se gratter le crâne en se demandant où le livre veut en venir.
Les chapitres où l'on suit Eymerich restent toujours aussi prenants, d'autant que son voyage semé d'embûches est le prétexte à d'innombrables rebondissements et retournements de situation. L'inquisiteur reste un personnage troublant, mais il apparaît peut-être plus sympathique que d'habitude tant le contexte où il se retrouve plongé est effroyable. La guerre de Cent Ans n'a rien de glamour ! Evangelisti s'amuse aussi à introduire d'autres personnages historiques comme Brigitte de Suède et Vincent Ferrier, deux saints qui offrent un contrepoint intéressant à la théologie glaciale de l'inquisiteur.
S'il est tout aussi bon que le reste de la série, Cherudek est un livre pour le moins exigeant. Si l'idée d'un Umberto Eco sous acide ne vous effraie pas, vous y trouverez sûrement votre compte.