La pauvre Angleterre est exsangue en cette année 1471 qui voit une nouvelle phase de la guerre des Deux-Roses toucher à sa fin. Grâce à sa victoire sans appel à la bataille de Tewkesbury, Édouard d'York est désormais le souverain incontesté du royaume et son rival, le malheureux roi fou Henri de Lancastre, est enfermé à la Tour de Londres où il attend son sort. Le triomphe des York est sans appel, mais peut-il durer ? Plusieurs menaces pèsent sur le trône, de l'ambition du duc de Clarence, frère cadet du roi, à l'existence d'un ultime prétendant de la maison de Lancastre, le jeune Henri Tudor. La mère de ce dernier, Margaret Beaufort, est prête à tout pour préserver la vie de son fils et faire valoir ses droits à la couronne. Elle peut compter sur son fidèle serviteur Christopher Urswicke, habile et sans pitié, pour accomplir ce qui doit l'être.
Paul Doherty a la réputation d'être un très bon auteur de romans policiers historiques. À la lecture de cette Reine de l'ombre, premier tome d'une série consacrée à la figure de Margaret Beaufort, matriarche de la maison Tudor qui, on le sait, sortira victorieuse de la guerre des Deux-Roses, le lecteur est en droit de se demander si cette réputation n'est pas usurpée. Certes, ce livre n'est pas entièrement dépourvu de mérite. Il se laisse lire sans déplaisir d'un bout à l'autre grâce à une plume alerte et efficace et dépeint de manière vivante l'Angleterre de la fin du quinzième siècle, avec une foule de petits détails qui aident à s'immerger dans cet univers à la fois familier et étrange.
Quel dommage, donc, que cet univers soit peuplé de personnages aussi fades ! Le récit alterne entre le point de vue de la reine et celui de son serviteur, mais cela ne les rend pas particulièrement attachants et cela fonctionne même parfois au détriment de l'intrigue. Lorsque Margaret se demande qui est le traître au sein de sa maisonnée, on sait pertinemment qu'il ne peut s'agir de Christopher, bien qu'on l'ait vu fricoter avec les ennemis jurés de sa maîtresse, puisqu'il est clair qu'il mène un double jeu pour son compte à elle. L'intrigue est dans l'ensemble assez bancale, avec des enjeux trop réduits, trop mal présentés ou trop vite expédiés pour que la moindre tension puisse naître.
Paul Doherty en avait-il conscience ? Toujours est-il qu'il a cru bon d'inclure régulièrement des scènes de violence explicite dans son histoire. Certes, c'est une réalité de l'époque, mais au bout d'un moment, les descriptions crues de gorges tranchées et de carreaux d'arbalète en pleine tête finissent par lasser. Le temps consacré à rédiger ces scènes aurait été mieux employé à corriger les erreurs qui parsèment le texte. Il s'agit le plus souvent de simple détails, mais qui ne plaident pas en faveur de l'auteur. Que Margaret donne à son mari un prénom qui n'est pas le sien tout au long du livre (Humphrey au lieu de Henry) témoigne d'un sérieux manque de rigueur de sa part.
La quatrième de couverture de La reine de l'ombre fait assez éhontément du pied aux lecteurs qui ont aimé Le trône de fer ou sa déclinaison audiovisuelle Game of Thrones. De fait, la guerre des Deux-Roses, avec ses trahisons, ses secrets de famille et ses batailles sanglantes, est l'une des sources d'inspiration avouées de George R.R. Martin pour sa saga de fantasy. Malheureusement, je ne pense pas que ce livre soit assez bon pour satisfaire ses fans, ni même les amateurs de romans historiques en général.