Les Chroniques de l'Imaginaire

Croisière sans escale - Aldiss, Brian

Le Vaisseau est un monde aussi étrange que dangereux. Dans ses couloirs envahis par les plantes poniques, les tribus humaines des Quartiers mènent une existence rude, entre chasse et agriculture. Elles ne se posent pas trop de questions sur ce qui se cache au-delà de leurs frontières, qu'il s'agisse des gens plus civilisés de l'Avant, des légendaires Géants, les anciens maîtres du Vaisseau, ou des Hors-Venus, aussi mystérieux que terrifiants. C'est dans ce monde que vit Roy Complain, un chasseur fruste qui rêve pourtant d'autre chose. Lorsque Marapper, le prêtre de la tribu, lui propose de quitter les Quartiers pour s'aventurer à l'Avant, il n'hésite pas une seconde, mais ce qu'il découvrira en chemin va bouleverser tout ce qu'il pensait savoir sur le Vaisseau, les Géants, les Hors-Venus… et lui-même.

Ce roman part d'une idée simple : et si, au cours d'un voyage interstellaire s'étirant sur des générations, les humains se trouvant à bord du vaisseau oubliaient qu'ils se trouvaient à bord d'un vaisseau ? La majorité d'entre eux sont ainsi persuadés que le vaisseau constitue bel et bien le monde et qu'il est tout à fait naturel de vivre dans un environnement découpé en couloirs et en cabines, avec des plantes qui poussent sur les parois. Brian Aldiss s'amuse à donner à ces humains retombés à l'état tribal une religion démente fondée sur la psychanalyse de Freud et Jung, mais déformée par des siècles de transmission orale.

Prenant place entièrement dans cet espace clos, le livre bénéficie d'une atmosphère étouffante. Cette claustrophobie ne fait qu'augmenter au fil des pages, tandis que Complain, ballotté entre des factions dont il ne comprend d'abord rien, s'efforce tant bien que mal de dépasser ses limitations intellectuelles pour appréhender des concepts toujours plus étranges pour lui et familiers pour le lecteur. Les rebondissements s'enchaînent à un rythme suffisant pour maintenir l'attention et les révélations savamment dosées dans les derniers chapitres apportent une conclusion satisfaisante à l'aventure.

Certes, le style accuse un peu son âge et les personnages ne sont pas entièrement satisfaisants (surtout les femmes), mais l'imagination folle de Brian Aldiss permet à Croisière sans escale de rester une lecture digne d'intérêt plus d'un demi-siècle après sa parution.