Nous sommes en 1369, dans une Castille plongée en pleine guerre civile. Le roi Pierre, dit le Cruel, s'est aliéné la noblesse du royaume, qui a choisi de rallier son demi-frère Henri de Trastamare. Avec l'aide des soldats français du légendaire Bertrand du Guesclin, le prétendant assiège Pierre et ses derniers fidèles, principalement des civils juifs et des mercenaires musulmans, dans le château de Montiel.
Ce n'est pas le genre d'endroit où l'on s'attendrait à retrouver le père Nicolas Eymerich, mais il est en mission à la demande du pape, qui a été informé d'événements surnaturels qui auraient eu lieu dans l'enceinte du château. Des sons étranges s'y font entendre, des visages démoniaques apparaissent sur les murs… L'aide du vénérable inquisiteur pragois Gallus de Neuhaus ne sera pas de trop pour tirer les choses au clair. Pour ce faire, Eymerich devra se plonger à son corps défendant dans les secrets les plus obscurs de la Kabbale.
Ce septième tome des aventures de l'inquisiteur de Gérone marque le début d'un nouveau cycle de traductions. Les éditions Rivages, qui avaient été les premières à proposer la série en français, s'étaient en effet arrêtées au début des années 2000 avec Picatrix, l'échelle pour l'enfer. La Volte a repris le flambeau avec brio : merci à eux !
L'intrigue du Château d'Eymerich s'insère dans un événement historique authentique, la bataille de Montiel qui conclut la guerre civile castillane de 1351-1369. Valerio Evangelisti ne s'était pas autant ancré dans l'Histoire avec un grand H depuis Le mystère de l'inquisiteur Eymerich, qui avait pour théâtre la révolte du juge sarde Mariano d'Arborée contre la couronne d'Aragon. Ici encore, il n'hésite pas à prendre quelques libertés avec la réalité des faits : ainsi, Samuel ha-Levi est mort en 1361, ce qui ne l'empêche pas d'être un personnage important de ce livre. Seul le spécialiste (du genre de ceux dont l'auteur se moque gentiment dans sa postface) trouvera à y redire.
Le profane, lui, savourera ce huis clos étouffant qui offre un contraste saisissant avec les longs voyages d'Eymerich dans Picatrix. Le château de Montiel et ses innombrables passages secrets offre une atmosphère étouffante dans laquelle évoluent le roi Pierre et sa cour, une galerie de personnages décadents ou désespérés, parmi lesquels le lecteur retrouvera quelques individus déjà croisés dans la série, comme le roi Pierre, son conseiller juif Samuel ha-Levi ou encore une certaine jeune fille. C'est une véritable toile d'araignée dans laquelle se retrouve empêtré l'inquisiteur mais, comme à son habitude, celui-ci parviendra à en dénouer les fils pour faire éclater la vérité en se frottant au passage à quelques démons, ainsi qu'au mystérieux golem de la Kabbale.
Le thème majeur de ce roman est l'antisémitisme, qu'il s'agisse de celui d'Eymerich, rationalisé par la doctrine de l'Église catholique et tempéré par la nécessité, ou de la xénophobie brutale et sans concession des habitants de Montiel. À ce titre, il n'est donc pas illogique que le deuxième fil narratif prenne place pendant la Shoah, l'un des rares événements majeurs du vingtième siècle auxquels Evangelisti ne s'était pas encore attaqué. Ces chapitres ont pour protagoniste un savant nazi bien décidé à créer une race de super-soldats pour la plus grande gloire du Reich. La parodie de Frankenstein est évidente, mais cette partie du livre est assez faible, tout comme le troisième fil narratif, qui relate des événements survenus quelques décennies avant l'arrivée d'Eymerich à Montiel. La seule raison d'être de ces chapitres semble être d'expliquer de manière plus ou moins naturelle les rebondissements auxquels est confronté l'inquisiteur.
Le château d'Eymerich est donc un roman plus déséquilibré que ce à quoi nous avait habitués la série. Les chapitres sans Eymerich n'offrent rien de très mémorable et pâlissent en comparaison de l'intrigue principale qui est d'une grande qualité.