Arsouille est vieux, son ami Vantard vient de mourir, et il serait bien seul sans sa bru, et surtout le trollinou, Théophraste, son petit-fils, avec qui il vit. Un jour, pourtant, il reçoit une lettre de son jumeau, Arpète. Or, cela est impossible pour plusieurs raisons : ils ne se sont plus parlés depuis cinquante ans, son frère est un ogre, et le fossé entre les deux espèces est infranchissable. Toutefois, Arsouille veut savoir qui lui a écrit, et pourquoi.
Mais pour ça, il va devoir réviser ses vagues et lointaines notions de lecture, et pire encore apprendre à lire une carte, pour essayer de rejoindre la localité d'où la lettre intrigante est partie. Cela veut dire demander de l'aide à Rouillarde, l'amie de feu Vantard, une vieille débrouillarde, qui plairait bien à Arsouille si elle n'avait pas des fuites malodorantes. Et tout cela va changer sa vie, et peut-être même celle du monde.
Ce roman court et léger est plein de détails convaincants. Son aspect urban fantasy est bien mis en place, avec ces meutes de trollards (trolls adolescents) qui cherchent des victimes dans les rues des villes ou des banlieues, et ces ogres à mâchoire télescopique autant que squalesque qui gèrent les écoles et collèges où vont tous les petits avant de se révéler ogres ou trolls, grosso modo au moment de la puberté. Le côté post-apocalyptique, avec la quasi-disparition de l'humanité, n'apparaît que plus tard, amené en douceur.
Tout cela est finement fait, et cette subtilité s'applique aussi au traitement des personnages : s'ils ne sont pas forcément originaux dès l'abord, chacun est individualisé suffisamment pour être attachant, et leur évolution, bien qu'un peu rapide peut-être, est crédible. Par ailleurs, le premier plan donné à des personnages âgés, avec les caractéristiques de leur âge, est une trouvaille crédible.
Le rythme aussi est bon, avec une alternance bien dosée entre scènes d'action et moments plus calmes. Enfin et surtout, si le roman offre une réflexion sur ce qui constitue l'humanité, ballottée ici entre deux écueils, cette réflexion n'est jamais didactique, et peut d'ailleurs être totalement négligée par le lecteur qui prendrait simplement plaisir à lire une bonne histoire plus atypique qu'il n'y paraît, servie par une écriture élégante et précise.
En somme du bon travail d'écriture, et il faut féliciter l'éditeur de republier ce roman dans une autre collection, qui lui permettra sans nul doute de trouver un lectorat plus large.