Les Chroniques de l'Imaginaire

Le chanteur perdu - Tronchet, Didier

Jean est un personnage qui vient de faire un choix assez dingue, dans la vie. Lui qui vient de faire un burn-out dans son métier de bibliothécaire, à force de crouler sous les nouveautés toujours plus nombreuses et rapides d'un monde qui va à cent à l'heure, vient de décider de se séparer de sa télé, de ses livres, revues, disques et films, qu'il ne supporte plus. A présent, il est seul avec son chat, et décide de vivre au rythme de ce dernier. Jusqu'à tomber sur une cassette audio oubliée au sommet d'un placard. Une cassette qui va lui rappeler bien des souvenirs...

Cette cassette a été enregistrée il y a bien longtemps, à un moment où Jean était un hippie. Un véritable rebelle qui détestait le monde d'alors. Un véritable Nelson Mandela, avide de liberté, comme il le dit lui-même. La cassette est d'un chanteur des seventies, Rémy Bé, qui est totalement tombé dans l'oubli, depuis le temps. Même Google ne parvient plus à retrouver la trace de celui qui avait pourtant tapé dans les oreilles de Jean...

Alors, voilà que Jean se retrouve dans cette bonne ville de Morlaix, dans le Finistère. Pourquoi Morlaix ? Tout simplement parce que la pochette du disque, à l'époque, montrait Rémy Bé, avec le viaduc de Morlaix comme décor de fond... De là à se dire qu'il est toujours dans la cité bretonne, évidemment, rien n'est moins sûr, et Jean ne va pas tarder à en être persuadé...

Pourtant, même si la piste est légère, et carrément foireuse, elle finit par payer, grâce aux paroles des chansons de Rémy Bé, justement... La piste est retrouvée, et elle conduira Jean en Normandie, à Berck, sur le Cap Gris-Nez, chez la sœur de Raoul de Godewarsvelde, et même chez un certain Pierre Perret, qui aura connu l'artiste, il y a bien longtemps... D'ici à s'envoler vers une île, au large de Madagascar, après des rencontres toutes plus improbables les unes que les autres, il n'y a qu'un pas. Ou quelques heures d'avion. Et quand on en est là, après tout...

C'est avec beaucoup de curiosité que j'ai parcouru les planches de Le chanteur perdu, one-shot scénarisé, dessiné et colorisé par Didier Tronchet, un auteur qu'on ne présente plus depuis bien longtemps. Il faut la dépression d'un ancien fan pour entraîner ce dernier dans la recherche du chanteur dont il a été fan toute sa vie, et que tout le monde a oublié. Pathétique ? Certainement pas tant que ça, lorsque l'on sait que bien des pans de cette histoire sont bel et bien vrais...

On se prend rapidement d'affection pour ce personnage de Jean, qui attire toute la sympathie et l'empathie du monde dès les premières scènes. On voyage avec lui, clairement, et on a l'espoir que cette piste, aussi ténue soit-elle, débouche au plus vite sur quelque chose de plus tangible, de plus consistant. Et puis, les révélations sur cet ancien chanteur s'enchaînent. La rencontre à l'époque avec Georges Brassens, lui-même, le fait qu'il soit signé par la maison de disque de Pierre Perret, la ressemblance frappante entre l'artiste oublié et son père, à qui il a toujours voulu ressembler...

Le chanteur perdu est un one-shot profondément humain. Il y a tout dedans : de la nostalgie, des rêves de rencontres, des voyages jusqu'au bout du monde, des rencontres bien réelles, de l'humour que l'on doit à des dialogues bien ciselés. Bref : tout ce qui fait d'un one-shot une franche réussite, un sacré régal, comme on en trouve régulièrement dans cette collection Aire Libre de Dupuis.

Les dessins sont eux aussi à l'avenant, avec des couleurs souvent superbes, et il y a de quoi, entre la côte d'Opale et ces cieux insulaires, souvent peu cléments, comme c'est le cas dans cette histoire, et des décors qui nous parlent immédiatement. Didier Tronchet a su faire retranscrire une humanité folle au fil de son récit, rendant presque vivants des personnages qui sont parfaitement amenés.

Le chanteur perdu est une franche réussite, et il me tarde de la faire découvrir au plus grand nombre autour de moi.