Les Chroniques de l'Imaginaire

L'oeil du STO - Frey, Julien & Nadar

Sombre histoire, sombre bande dessinée, sombre période. C'est en pleine seconde guerre mondiale que Justin doit partir en Allemagne pour travailler. Le gouvernement de Vichy crée en 1943 le STO, le service du travail obligatoire. Justin suit des centaines de milliers de jeunes Français. Il en aura des regrets toute sa vie. Ce sera pour lui son année de la honte.

Justin est à l'âge de son départ en retraite quand cette histoire commence. Il doit compter et valider ses années de travail, mais les a-t-il toutes déclarées ? Il en manque une. Une qui est un poids lourd sur son cœur, c'est une année d'obligation, une année à oublier, pleine de regrets mais obligatoire. Justin n'a pas pour habitude d'en parler. Alors désormais il a le temps de se souvenir.

La famille de Justin tient une belle brasserie dans Paris, tout tourne bien malgré le fait que son père fuit ses responsabilités en tant que mari et père. La guerre les fait quitter la capitale. A leur retour, ils retrouvent, sans le chef de famille qui a refait sa vie, la brasserie pillée. Justin redevient garçon de café ailleurs, plonge un peu dans l'illégalité et pense que le STO est réservé aux volontaires. Mais ce service le rattrape et il doit partir, laissant Renée, la femme de sa vie, qui doit elle de son côté, divorcer.

Départ pour l'Allemagne. Tous ces jeunes travailleurs pensent que ce ne sera pas trop dur, qu'ils prendront sans doute du bon temps à certains moments. Mais la publicité est mensongère : on est en pleine guerre, et les Allemands ne leur offrent pas une année de vacances. Travail à l'usine, conditions de vie très spartiates et agressivité des militaires allemands. Malgré les bons camarades, toute sa vie, Justin s’en voudra d’avoir obéi à Vichy… D'ailleurs, il s’en rend vite compte car il va tout faire pour mettre y fin en y risquant sa santé et même sa vie…

En toute sincérité, j'avais oublié cette période historique. Ce livre m'a tout rappelé, et tout y est. Nadar et Julien Frey ont vraiment mis le paquet. Nadar a choisi le noir et blanc uniquement, ce qui reflète la lourdeur du moment, la peur, la sensation de trahison et la résolution au final. Certaines cases n'ont pas de texte, pas besoin, les images suffisent, les regards et les mines des personnages en disent plus long que les mots. La France est occupée. Que doit-on faire ? Quelles sont les décisions à prendre ? C'est tellement facile pour nous, n'ayant pas connu la guerre, de juger ! La fille de Justin lui fait comprendre et lui ordonne de dire enfin cette phrase : "Je n'étais pas volontaire". 

Julien Frey a réussi. Il nous scotche en racontant cette période noire. C'est fluide, complet, rien ne manque, que ce soit côté sentiments, côté passionnel, sans oublier les histoires de famille, et puis Vichy bien sûr, le départ pour l'Allemagne et la rancœur de ceux qui, au retour de ces jeunes recrues, leur ont fait connaître leur opinion ! Un clin d’œil aussi à l'historien Raphaël Spina qui nous résume le STO en deux pages à la fin de cette bande dessinée. Ceci est bienvenu pour compléter nos connaissances. 

Surtout ne pas s'en vouloir et quelque part accepter, même si les regrets sont lourds et indigestes. Excellente bande dessinée pour ne pas oublier.