La vie n'a rien de facile sur les terres embrumées de Sandremonde. Pour la plupart des Kerridens, il s'agit de survivre tant bien que mal en cultivant la terre et en obéissant aux préceptes de la toute-puissante Église de la déesse Isildis. Mais Elyz-Ana n'est pas la plupart des Kerridens. En fait, elle n'est même pas une Kerriden. Avec ses cheveux blancs et sa peau noire, cette petite fille ressemble trait pour trait à une Shaël-Faar, un démon des temps passés. L'Église ne voit pas son existence d'un bon œil et le Collège des Cardinaux est bien décidé à mettre un terme à son existence. Traquée de tous côtés, Elyz-Ana se réfugie dans la Plaie, une gigantesque crevasse qui perce la ville d'Atabeg. Elle y devient une Intouchable, un assassin qui frappe dans les ombres de la nuit. Mais son véritable destin l'attend encore…
La quatrième de couverture de Sandremonde semble promettre un roman de fantasy young adult archétypique, tant elle prend soin de cocher toutes les cases du genre. À la lecture du livre, force est de constater qu'il n'y a là aucune publicité mensongère. L'héroïne est une jeune fille (check) qui est différente des autres (check), non seulement par son apparence (check), mais aussi par les dons exceptionnels qu'elle possède (check). On la suit de l'enfance à l'âge adulte (check), avec notamment la perte de sa figure paternelle (check), et elle finit par découvrir qu'elle est l'élue d'une prophétie (check) et qu'elle va devoir sauver son peuple (check). C'est une trame très classique et Jean-Luc Deparis n'en déviera jamais : n'attendez aucune surprise et aucun retournement de situation.
Au-delà de l'intrigue, un roman de fantasy se juge aussi sur l'univers dans lequel il prend place. Malheureusement, rien de très folichon ici non plus, comme le laisse deviner la carte très banale qui ouvre le livre (et qui ne sert pas à grand-chose pour suivre les déplacements des personnages principaux). Les races qui peuplent Sandremonde ont beau avoir des noms baroques, on devine sans peine que les Sémonrs ne sont que des Orques tolkiéniens et les Shaël-Faars (ou Saudahyds, pour leur donner le nom qu'ils se donnent eux-mêmes) des Elfes noirs à la Donjons & Dragons sur lesquels Jean-Luc Deparis a plaqué de manière grossière des éléments de la mythologie irlandaise. Les Fir Bolg et la bataille de Mag Tuired sont cités nommément, sans expliquer le moins du monde comment le monde fictif de Sandremonde peut être lié aux légendes du Lebor Gabála Érenn. Les personnages n'acquièrent quant à eux jamais de consistance, ils restent des silhouettes en papier qui dansent devant ce décor peu convaincant.
L'onomastique de bric et de broc n'aide pas à donner de la crédibilité à cet univers. Certains noms ne sont que de vrais noms orthographiés différemment (Elyz-Ana, Lussie, Sirril – j'appelle ça des noms à la G.R.R. Martin), d'autres sont piochés de manière aléatoire dans des langues exotiques de notre monde (atabeg est un mot turc qui désigne un rang de noblesse, rien à voir avec une ville) et ceux qui restent sont des fantaisies baroques bardées de trémas et d'apostrophes. Cela s'étend même aux noms communs : sur Sandremonde, on ne trouve pas des corbeaux et des mélèzes, mais des corbuz et des médrèzes. Ces changements un peu gratuits ne m'ont pas aidé à prendre le livre au sérieux.
Et c'est peut-être ça le drame avec Sandremonde : c'est que ce livre se prend terriblement au sérieux. L'Église d'Isildis, obscurantiste et impitoyable, est clairement censée représenter l'Église chrétienne du Moyen Âge, mais elle le fait de manière tellement caricaturale qu'on peut difficilement s'y laisser prendre, tandis que la culture des Saudahyds n'est pas suffisamment explorée pour fournir un contrepoint crédible. Jean-Luc Deparis s'efforce d'élever son œuvre en optant pour un style très lyrique et fleuri qui offre parfois de belles phrases, mais qui donne surtout à l'ensemble un ton artificiel qui frise parfois le ridicule, surtout au bout de 700 pages.
Vous l'aurez deviné, je n'ai pas vraiment aimé Sandremonde, mais je ne pense pas être le public idéal pour ce livre. Si vous aimez les romans young adult et que les clichés propres à ce genre ne vous dérangent pas, ce n'est sûrement pas la pire lecture dans laquelle se plonger.