Nous sommes en 1366 et rien ne va plus pour Nicolas Eymerich. Adieu le grand inquisiteur d'Aragon, dépouillé de son rang, chassé de son royaume. Le voici en Italie où il découvre, par l'intermédiaire du poète François Pétrarque, un étrange tableau qui semble chargé d'allusions démoniaques. C'est le point de départ d'une nouvelle enquête pour Eymerich, qui décide de se rendre à Constantinople en profitant de la croisade lancée par le bouillant Amédée de Savoie, dit « le Comte vert », pour tirer les choses au clair.
Une fois arrivé dans la capitale d'un Empire byzantin au bord du gouffre, l'inquisiteur découvre qu'elle est en proie à un phénomène aussi terrifiant qu'inexpliqué : chaque jour, des géants monstrueux sortent de la mer et avancent lentement vers les murs de la cité en hurlant un seul mot : « momie ». Que cherchent-ils ? D'où viennent-ils ? Et quel rapport tout cela a-t-il avec Orion, dont les étoiles ornent les drapeaux du Comte vert ?
L'intérêt pour cette constellation dépasse le Moyen Âge, comme le prouvent les expériences du génie incompris Marcus Frullifer, persuadé de pouvoir faire exploser Bételgeuse par le simple pouvoir de la pensée. Une arme qui pourrait bien avoir un rôle à jouer dans la guerre sans fin que se livrent en Irak les mosaïques de l'Euroforce et les polyploïdes de la RACHE.
Des neuf aventures de Nicolas Eymerich parues jusqu'ici, La lumière d'Orion est sans doute celle que j'ai le moins appréciée. Est-elle réellement moins bonne que les précédentes, ou s'agit-il simplement d'une forme de lassitude ? Le fait est que ce livre m'a paru plus long que Mater Terribilis, alors qu'il fait cent bonnes pages de moins.
La structure en entrelacs, l'une des marques de fabrique de la série, est plus déséquilibrée que jamais. En termes de volume, l'histoire d'Eymerich se taille la part du lion, tandis que celles de Frullifer et de la guerre du futur sont réduites à une poignée de chapitres peu intéressants qui ressemblent presque à ce stade à un appendice vestigial. On y retrouve comme toujours une vision pessimiste du vingt-et-unième siècle où les pires atrocités sont monnaie courante, tout comme les innombrables références à des personnages, lieux et événements des tomes précédents. L'histoire du futur de Valerio Evangelisti a l'air de succomber sous son propre poids. Les participants à la guerre éternelle en Irak sont las… et ce lecteur aussi.
Jusqu'à présent, c'était toujours l'enquête de Nicolas Eymerich dans les pires recoins de son quatorzième siècle qui constituait la meilleure partie de chaque tome. La lumière d'Orion ne déroge pas à la règle, mais ici encore, il me semble que la série a proposé mieux dans le passé. Dès le début, c'est sous un prétexte pour le moins léger qu'Eymerich part à l'aventure. Certes, la formule « le pape envoie son inquisiteur préféré en mission » commençait à sentir le réchauffé, mais elle avait le mérite de l'efficacité et de la crédibilité. Ici, il lui suffit de voir un tableau étrange pour, au terme d'un raisonnement assez nébuleux, décider de s'inviter d'autorité dans la croisade qui va dans la direction qu'il veut, quitte à forger de faux documents… Son intransigeance semble croître de tome en tome quand bien même la série ne suit pas un ordre strictement chronologique, ce qui est un peu curieux.
Heureusement, après l'arrivée à Constantinople, Valerio Evangelisti laisse libre cours à ses meilleures qualités de romancier pour dépeindre la décadence qui frappe un empire à l'agonie, avec ses palais à moitié abandonnés où les ors anciens ont tous été vendus pour éponger les dettes et où l'on se soulage dans les couloirs, faute de sanitaires… Comme toujours, l'enquête d'Eymerich le plonge au milieu d'une galerie d'individus tous plus fourbes et ambigus les uns que les autres. Son déroulement souffre encore une fois de quelques facilités : à plusieurs reprises, un personnage (souvent Eymerich lui-même) s'apprête à apporter une explication ou pointer du doigt un indice avant de se raviser sans bonne raison ou d'être interrompu par quelque chose qui ne justifie pas vraiment qu'il s'interrompe. Mais une fois l’écheveau de soupçons dévidé, l'intrigue s'accélère jusqu'à une conclusion hallucinée comme l'auteur les aime tant et il est difficile de lâcher le livre dans ses dernières pages.
Je ressors tout de même un peu déçu de cette lecture. La lumière d'Orion n'est pas un mauvais livre, mais la série nous avait habitués à mieux.