Il ne se passe jamais rien à Salvi. Perdu au fin fond des vastes plaines du Mitan, c'est tout juste si ce petit village voit passer sur son canal quelques barges par an. Alors, le jour où débarque le bateau du carnaval, avec ses mystérieux occupants tous plus bizarres les uns que les autres, le jeune Gabriel n'hésite pas très longtemps. Orphelin, rien ne le retient à Salvi, pas même sa seule amie Suzanne. Il décide de s'embarquer avec les saltimbanques. C'est le début d'une nouvelle vie, pleine d'aventure et de secrets.
En commençant Les canaux du Mitan, j'ai eu peur d'avoir affaire à un énième bildungsroman, avec un héros jeune qui part à l'aventure et découvre la vie. J'ai donc été agréablement surpris de voir que, si le début du livre adopte en effet quelques traits du récit d'initiation classique, il prend par la suite un tour bien différent. On change régulièrement de narrateur et de genre, avec tour à tour du roman policier, de la chronique historique, du récit de voyage (principalement en bateau, ce qui change de l'ordinaire) et même une pièce de théâtre ! La monotonie n'est pas au rendez-vous et c'est un très bon point.
À mettre également à l'actif d'Alex Nikolavitch, l'univers dans lequel prennent place les aventures de Gabriel. Il ne faut pas longtemps au lecteur pour deviner que la géographie du Mitan cache peu ou prou celle des Grandes Plaines des États-Unis et que le livre se déroule dans une sorte d'Amérique alternative où les colons européens ont été rapidement coupés de leur patrie d'origine par un phénomène magique inexpliqué. Tout le récit baigne ainsi dans une familiarité étrange, avec des noms, des lieux, des cultures qui évoquent des équivalents de notre monde, mais subtilement différents. C'est une sensation très plaisante.
La majeure partie du roman est à la première personne et plonge le lecteur dans les pensées de Gabriel et Suzanne, mais aussi d'autres personnages. Tous sont campés avec maestria, en particulier les membres du cirque flottant qui prennent vie grâce à la plume efficace d'Alex Nikolavitch. L'intrigue est rondement menée et ne donne pas envie de lâcher le livre avant la fin, une fin qui, seul petit bémol à mes yeux, aurait peut-être pu davantage prendre son temps.
Les canaux du Mitan est une belle réussite, à mettre entre toutes les mains.