Que vous connaissiez Neil Gaiman ou pas, ce recueil est fait pour vous. Si vous êtes déjà familier des univers loufoques et cohérents de l'auteur d'American Gods et autres merveilles baroques, vous retrouverez son inventivité, mais aussi la solidité de ses constructions et ses personnages touchants et cohérents. Si vous ne l'êtes pas (encore), vous aurez là la chance de découvrir un auteur original, dont le ton léger et la richesse d'imagination ne dissimulent pas le sérieux avec lequel il envisage clairement son métier d'écrivain. Ce recueil de vingt quatre textes (un par heure, quel bonheur !) lui permet en passant de rendre hommage à de grands anciens, par exemple Ray Bradbury, dans L'homme qui a oublié Ray Bradbury, Gene Wolfe, et à double titre, dans Un labyrinthe lunaire, ou Jack Vance, dans Une invocation d'incuriosité, pour laquelle il a obtenu un prix Locus, sans oublier ces grands anciens plus ou moins anonymes que sont les auteurs de contes, puisqu'on trouve ici au moins quatre nouvelles qui font référence à des contes de fées : Perles et diamants : un conte de fées, qui évoque La Belle et la Bête, notamment ; Un respect des convenances, où la méchante fée s'explique ; Le retour du mince duc blanc, qui rappelle ces histoires d'hommes sans coeur ; et La dormeuse et le rouet, qui marie avec bonheur La Belle au bois dormant et Blanche-Neige. Et pour ceux qui, de l'auteur, ne connaîtraient qu'American Gods, soyez heureux : dans Le Dogue noir, vous retrouverez Ombre Moon, qui est toujours dans les petits papiers de Bastet, heureusement pour lui.
Que vous aimiez le fantastique ou pas, ce recueil est fait pour vous. Très franchement, je n'en suis pas si fan que cela moi-même. Ici, on trouve principalement du Gaiman, autant dire de l'inclassable. Comment classe-t'on les contes de fées, par exemple ? Et il y a même des nouvelles plutôt SF, comme Nulle heure pile, qui est par ailleurs un hommage à Doctor Who, "Et pleurer, à l'instar d'Alexandre", qui explique pourquoi nous n'avons pas dans notre vie de tous les jours ces merveilles futuristes que les auteurs de SF de l'âge d'or nous avaient promises, ou Un récit d'aventure, si L'île du Dr Moreau est de la SF. Quant à Orange, je ne saurais pas bien dans quelle case la ranger, mais comme elle se termine avec des aliens, j'aurais tendance à dire SF aussi. Il y a même la seule incursion à ce jour de l'auteur dans le domaine du polar, avec L'affaire de la mort et du miel, où Sherlock Holmes passe des dizaines d'années à résoudre "l'affaire" que lui a confiée son frère mourant. Enfin, c'est du polar, si on veut... Cela dit si, contrairement à moi, vous aimez le fantastique et l'horreur, vous aurez du choix, avec Le problème avec Cassandra, qui interroge la nature de la réalité, Au fond de la mer sans soleil, une nouvelle déchirante sur le deuil impossible, Ma dernière logeuse, qui plante dans une Brighton du début XXe siècle une bonne imitation de l'auberge rouge, Clic-Clac le sac qui claque, purement horrifique, Terminaisons féminines, dont la fin promet des horreurs sans le dire, et En Rehlig Odhràin, qui annonce Le Dogue noir, avec des artifices de construction d'édifice particuliers.
Et puis il y a les inclassables inclassables : Monter un siège, qui explique pourquoi tout procrastinateur devrait acheter ses meubles en kit, Un calendrier de contes, qui regroupe douze micro-nouvelles toutes différentes, et plus plaisantes les unes que les autres, ou la très particulière et superbe "La vérité est une caverne dans les Montagnes Noires..." un récit d'aventures et de vengeance à peine teinté de surnaturel, qui a obtenu le prix Locus de la meilleure nouvelle longue, et qui a été adapté en spectacle à maintes occasions. Je vous conseille de ne pas manquer de lire, avant, pendant ou après les textes, la préface de l'auteur, car la présentation qu'il y fait à la fois de l'ensemble de l'ouvrage et de chacun des textes qu'il contient apporte véritablement quelque chose. A ce propos, je mentionnerai le seul léger bémol que j'émettrai à propos de cette lecture très agréable, et c'est que certains titres sont différents dans la préface et dans le corps de l'ouvrage : par exemple, la nouvelle Au fond de la mer sans soleil, est désignée sous le titre Vers une mer sans soleil dans la préface.
Enfin, il serait inconcevable de terminer cette chronique sans mentionner le traducteur, Patrick Marcel, dont le travail est ici, comme toujours, digne de tous les éloges.