Le 30 mai dernier était un triste anniversaire, celui des cinq ans écoulés depuis la mort de Joël Champetier, qui a cruellement blessé les collaborateurs de la revue, et le milieu de l'imaginaire québécois. Il n'est donc pas étonnant qu'un hommage lui soit consacré dans ces pages de Solaris. Les nouvelles rassemblées ici sont toutes liées à l'un des univers créés par Joël Champetier, cependant que Mario Tessier, dans Les Carnets du Futurible, se penche sur la place de la science dans les œuvres de SF de l'auteur disparu. On y trouve un rappel biographique, et une explication sur la place de la science et des techniques dans la vie de Champetier, ainsi, bien sûr, qu'une étude thématique de l'oeuvre.
En préambule, je dois préciser que, comme sans doute de nombreux.ses lecteurices français.es, je ne suis pas familière de l'oeuvre de l'auteur québécois. De ce fait, j'ai lu les textes rassemblés ici en eux-mêmes, sans les rapprocher de ceux auxquels ils faisaient référence. J'imagine qu'un.e lecteurice québécois.e ferait une expérience différente, mais au moins puis-je témoigner qu'il n'est pas nécessaire de connaître les textes d'origine pour apprécier ceux rassemblés ici. Et que certains d'entre eux m'ont donné une forte envie de lire les romans de Joël Champetier, ce qui, somme toute, est aussi le but.
Le passeur de livres, de Geneviève Blouin : Contrairement à ce qu'on pourrait penser, on peut toujours trouver de nouvelles histoires à lire. Une bonne nouvelle sur l'effet thérapeutique et civilisateur de la lecture, dans l'univers de Le mystère des Sylvaneaux.
Comment le shiba aux pattes silencieuses décida l'avenir du monde, de Philippe-Aubert Côté : Les cinq représentants du Pentaptique sont rivaux et ne sont pas censés se parler, ni même se rencontrer... mais c'était compter sans Syun ! Une excellente nouvelle de SF un peu décalée et profondément humaniste, dans l'univers de Visite au comptoir dénébolien.
Petite poule rousse, de Jonathan Reynolds : Quand Claude change l'heure et le lieu de leur rendez-vous, Valérie hésite entre la joie et l'angoisse. Mais la réalité est bien ailleurs. Une nouvelle fantastique glaçante sur la différence, les secrets de famille, et la façon dont nous interprétons les événements en fonction de nos attentes et de nos craintes, dans l'univers de La peau blanche.
Celui-qui-crie, d'Ariane Gélinas : Lucie a besoin d'aide pour que son fils Eric retrouve sa santé mentale, et Ungak est celui qui la lui apportera. C'est la nouvelle qui m'a paru la plus étrangère, et pour laquelle j'ai durement ressenti le manque de références, tant culturelles que littéraires. Elle se situe dans l'univers de La mémoire du lac.
La mémoire du papillon, de Pascal Raud : Après l'horreur, et l'hôpital psychiatrique, Jeanne vit chez sa sœur Madeleine, pour le plus grand plaisir de sa petite-nièce Lucie, qui elle aussi aime lire. Une belle histoire sur l'enfance, la famille, la blessure et les vertus réparatrices de l'art, dans l'univers de L'aile du papillon.
La mort au fond du monde, de Sébastien Chartrand : Les fridji ont toujours aimé les humains, jusqu'à se suicider quand ils estimaient trop leur ressembler. Étrangère que je suis à La mer au fond du monde, le roman dans l'univers duquel est située cette nouvelle, j'ai pour ma part pensé à La guerre des Salamandres, de Karel Capek, et à la fin de Le nom du monde est forêt, d'Ursula Le Guin. En tout cas, c'est un beau texte, discrètement ironique, discrètement désespéré, avec des aliens et une thématique originaux.
L'amour en l'absence, de Jean-Louis Trudel : Réjean Tanner aimait Qingling, et ne supporte pas bien de l'avoir perdue. Une belle nouvelle tendance espionnage dans un univers de SF, celui de La taupe et le dragon.
La voie du maître, d'Eric Gauthier : Maître Anterlecq teste sur son assistant le bracelet d'oubli qu'on lui a donné. Et il finit par réaliser que l'objet a des effets imprévus. J'ai beaucoup aimé cette excellente nouvelle, à mon sens l'une des meilleures du recueil, avec une progression finement gérée des rapports entre les personnages, et une question éthique peu traitée, mais pourtant importante et très actuelle, à propos de la mémoire et de l'oubli. Elle est située dans l'univers de Les sources de la magie.
Le Rouge, d'Elisabeth Vonarburg : Dans un univers marqué par la Grande Explosion, il y a des phénomènes météorologiques extrêmes, dont il faut simplement s'abriter, et puis il y a le Rouge, qui semble attirer certains humains. Je n'ai pas lu Les poissons solubles, auquel se réfère cette histoire, mais les êtres éponymes m'ont évoqué les oiseaux-parfums du Tyranaël de Vonarburg, et je n'ai pas été surprise qu'elle s'approprie cet univers, avec de surcroît ce thème récurrent dans son oeuvre de l'attirance vers l'autre complètement autre.
Concerto pour extraterrestres et mathématiciens, de Hugues Morin et Joël Champetier : Stéphane est fatigué et gelé, il ne pense qu'à rentrer chez lui, mais l'annonce qu'une "soucoupe volante" s'est posée dans les faubourgs de Montréal change tout, sans compter que Julie lui plaît beaucoup. J'ai vraiment beaucoup aimé cette excellente nouvelle SF, avec son vernis scientifique bien géré, présent sans perdre la lectrice purement littéraire que je suis, et j'imagine que Jean-Sébastien Bach l'aurait sûrement bien aimée aussi. Elle est située dans l'univers de Luckenbach, les mathématiques et autres dangers de Montréal.