Ce volume contient quatre aventures des enquêteurices du Club de la rue de Rome. Celui-ci, fondé et dirigé par M***, comporte uniquement des artistes, écrivain.e.s, poétes, peintre.sse.s... Son but est d'enquêter dans toutes les affaires où le surnaturel semble intervenir.
Ainsi dans L'étrange chorée du Pierrot blême, de Léo Henry, la danseuse Jane Avril et l'humoriste Alphonse Allais ont affaire à un personnage inquiétant, qui semble désossé et à peu près impossible à tuer, mais qui intervient apparemment en duo avec un maître du déguisement doublé d'un empoisonneur.
L'effroyable affaire des souffreuses, sous la plume de Raphaël Eymery, présente un cas d'épidémie insolite, aux manifestations épouvantables, qui touche exclusivement les adolescentes. Là, ce sont Pierre Louÿs et le poète anglais Ernest Dowson (Oscar Wilde s'étant désisté) qui mènent l'enquête, cependant que Rachilde intervient à peine.
Dans Coquillages et crustacés, de Luvan, autour d'un lavoir prétendument hanté, les femmes reviennent sur le devant de la scène, avec Berthe Weill, peintresse et future galeriste, et la peintresse russe Maria Iakountchikova, peu aidées par Gustave Moreau, convaincu que ses personnages les plus glauques ont pris vie hors de ses toiles.
Enfin, Les plaies du ciel, de Johnny Tchekhova, qui tourne autour du couple Mirbeau, entre autres, s'intéresse aux morts étranges et horrifiques de jeunes hommes.
J'avoue avoir ignoré jusqu'à l'existence d'Adorée Floupette avant de m'intéresser à ce livre, dont la lecture m'a permis d'apprendre qu'avait "existé" un Adoré Floupette, nom de plume adopté par Gabriel Vicaire et Henri Beauclair pour Les Déliquescences, poèmes décadents d’Adoré Floupette. Ce recueil de poèmes symbolistes illustrera et fera connaître le décadentisme en tant que courant littéraire*.
Ces différents textes brossent, de façon impressionniste, une image du Paris de la toute fin du XIXe siècle, percé par les grandes artères voulues par Haussmann, lesquelles recouvrent des souterrains inquiétants, animé par tous ces métiers voués à disparaître : lavandières, cochers..., avec ses hauts lieux du divertissement, comme Le Chat Noir que visite la première novella, et ses réunions plus sombres, comme celle mise en scène dans le dernier texte. Par ailleurs, le choix des enquêteurices, et de leur chef, rappelle le bouillonnement culturel de l'époque.
L'idée de ressusciter un double féminin d'Adoré Floupette est fort sympathique, et ne peut qu'enthousiasmer les amateurices de ce Paris fin de siècle vu sous l'angle des arts. On souhaite donc longue vie à cette aventure, et la réussite aux "floupettien.ne.s" qui y sont impliqué.e.s. Il serait souhaitable, toutefois, que les futures parutions soient un peu plus homogènes. Certes, toute écrivaine, fût-elle imaginaire, peut avoir ses moments de faiblesse, mais le dernier texte est d'un niveau de langue trop inférieur aux autres pour rendre crédible l'existence d'une seule autrice. Cela supposerait qu'elle ait perdu, on ne sait comment, la maîtrise de l'usage adéquat des temps de l'indicatif, et que, pire encore, elle ait oublié subitement que l'expression synonyme d'"être reconnaissant" est "savoir gré", et que donc "nous sommes gré" est une aberration. En revanche, le changement de ton, plus ou moins noir, voire gore, d'un texte à l'autre, ne m'a pas paru incohérent, si j'ai trouvé difficile la lecture du deuxième, n'ayant pas du tout de goût pour le trash.
En résumé, l'éditeur poursuit avec ce recueil la publication d'ouvrages un peu décalés, et il faut le féliciter pour ce choix courageux, qui permet aux lecteurices de découvrir des textes sortant des courants les plus représentés ailleurs. D'autant que le livre même fait l'objet d'un travail soigné : les illustrations d'Ambre s'accordent parfaitement au contenu, et les pièces annexes (plans, liste des personnages, chronologie des évènements...) accentuent le dépaysement. En somme, ce livre de grande qualité n'est pas à mettre entre toutes les mains, mais pour les aventureux.ses, c'est sans doute une bonne indication.