Les Chroniques de l'Imaginaire

Les Douze Rois de Sharakhaï (Sharakhaï - 1) - Beaulieu, Bradley P.

L'identité de la Louve Blanche, une jeune gladiatrice que le public de Sharakhaï apprécie beaucoup, est un secret pour beaucoup. Derrière le masque se cache Çeda, dix-neuf ans, qui gagne sa vie en donnant des cours d'escrime aux enfants et en transportant nuitamment et discrètement des messages secrets. L'orpheline est restée hantée par la mort de sa mère, exécutée par les Douze Rois de Sharakhaï et exposée sur leurs murs à titre d'avertissement. Elle se l'est promis : un jour, elle se vengera des Douze Rois, tout immortels qu'ils soient...

Sharakhaï est une série d'epic fantasy ambitieuse, prévue en six tomes, sans compter les préquelles et novellas dans le même univers. Les trois premiers tomes déjà parus en VF donnent le ton, avec près de six-cents pages chacun. De quoi faire un peu peur au lecteur potentiel.

Personnellement, cela m'a effectivement fait un peu peur au début de ma lecture, car je n'accrochais pas vraiment. Les premiers chapitres posent les bases de l'histoire, s'attardent sur le contexte et les personnages, mais c'est plutôt fastidieux (longues descriptions de combats, détails intarissables sur les tenues des personnages...) malgré la plume agréable. D'autant qu'il y a également d'incessants flashbacks plus ou moins heureux sur le passé de Çeda, qui cassent souvent la dynamique du récit. Il faut attendre d'avoir passé le tiers du roman pour que le rythme et l'action soient vraiment au rendez-vous.
Les chapitres s'enchaînent sans toujours respecter un ordre chronologique, notamment quand ils sont centrés sur des personnages différents : un chapitre peut ainsi reprendre quelques jours avant la fin du précédent, avec le point de vue d'un autre personnage. On aura ainsi une majorité de chapitres consacrés à Çeda bien sûr, mais également d'autres suivant son très proche ami Emre (avec qui elle a une relation complexe), le prince consort Ramahd de Qaimir (qui cherche vengeance également, mais pas des mêmes que Çeda) ou encore l'un des Rois particulièrement manipulateur. Un sigil discret en début de chapitre (mais peut-être est-il moins discret en version papier ?) indique quel est le personnage mis en avant, mais pour ma part il m'a fallu dix-huit chapitres (sur soixante-trois) pour m'en rendre compte ! Tous les personnages sont nuancés et intéressants, et on prend plaisir à les suivre.

L'histoire prend place dans un monde riche et solide de type médiéval-fantastique, mais avec un belle touche orientale marquée puisque tout se passe dans une ville qui est un carrefour incontournable au milieu d'un immense désert de sable, le Grand Shangazi, aride et mortel. Sharakhaï est également un port animé, où se croisent tous types de vaisseaux du désert (avec un vocabulaire plus occidental, forcément...), poussés par le vent dans leurs voiles, glissant au-dessus du sable sur leurs patins de bois poli. On y croise toute la panoplie de gens qui peuvent habiter une grande cité, des plus riches aux plus démunis.
Depuis près de quatre cents ans, Sharakhaï est sous le contrôle de Douze Rois, qui ont mis en échec les douze tribus dont ils étaient originaires et qui voulaient contrôler cette cité florissante. Les tyrans sont puissants et ne tolèrent pas la rébellion, qu'ils répriment sauvagement. Le peuple est tenu de plier sous le joug et de les adorer à l'instar des Dieux qui leur ont conféré leurs pouvoirs à l'aube d'une épique bataille. L'un voit l'avenir, l'autre entend tout ce qui se dit en ville, le suivant commande aux redoutables Asirim, créatures démoniaques qui emportent des "élus" les nuits de conjonction des deux lunes... Ils assurent la protection de Sharakhaï, mais à quel prix ?

Le scénario est foisonnant et tortueux. Il n'est pas exempt de facilités, mais regorge de fils parallèles, de personnages aux intentions pas toujours évidentes, de mystères du passé et de secrets bien gardés. L'Histoire est écrite par les vainqueurs, et les Douze Rois ont bien pris soin d'effacer une bonne partie des événements passés... L'histoire de fond avance doucement, et on devine n'avoir encore gratté que la surface à la fin de ce premier tome. L'action est bien présente, avec pas mal d'éléments laissés en réserve pour la suite. Car ce n'est pas une série dont tous les livres sont indépendants et se suffisent à eux-mêmes, mais bien un tout à lire dans son intégralité pour en profiter pleinement.

Que dire d'autre ? Si l'ouvrage commence par une carte de Sharakhaï bienvenue, il lui manque un glossaire (par exemple le vocabulaire très oriental des vêtements ou armes) et une liste des personnages (je dis bravo au lecteur capable de me citer les noms des Douze Rois, leurs fonctions et leurs pouvoirs à l'issue d'une unique lecture du roman !).

On tient là un roman globalement réussi, avec un style agréable, un univers intéressant et une intrigue qui ne demande qu'à se développer, malgré un début vraiment longuet. Pour ma part, je compte bien lire la suite !