Les Chroniques de l'Imaginaire

Rouille - Soulas, Floriane

Il ne fait pas bon vivre à Paris en 1897 quand on n'habite pas sous le Dôme. Les autres quartiers sont gérés par des malfrats qui s'occupent plus ou moins bien des populations sur lesquelles ils prélèvent leur dîme. Léon, qui gère la Souricière, le quartier où se regroupent une bonne partie des prostituées et des maisons closes, dont la plus courue d'entre elles, Les Jardins mécaniques, est soucieux : des filles disparaissent, et on les retrouve - quand on les retrouve ! - atrocement mutilées. La police se révélant impuissante à découvrir l'assassin, comme à savoir qui introduit en ville une nouvelle drogue, terriblement addictive, la rouille, qui fait des ravages, Léon décide de prendre les choses en main. Il va vite s'apercevoir qu'il n'est pas le seul dans ce cas.

Violante a été récupérée par Léon dans la rue, malade et amnésique, trois ans plus tôt, et amenée aux Jardins mécaniques, où elle est devenue Duchesse, une prostituée de luxe, l'une des étoiles de la maison. Elle n'a toutefois pas renoncé à retrouver son passé, ses origines, dont seules quelques images lui reviennent en rêve. Et quand son amie Satine, une ancienne pensionnaire des Jardins, qui l'aidait, disparaît, elle veut savoir ce qui lui est arrivé, et trouver d'autres sources d'information. C'est l'un de ses riches clients, le comte Armand de Vaulnay, qui va lui en apporter, très involontairement.

Il n'est pas surprenant que ce premier roman ait été primé, car il ne manque certes pas de qualités. Le monde qu'il développe par petites touches est original et cohérent : c'est un Paris alternatif, où la Lune a été colonisée, permettant à des familles riches de s'y faire construire des résidences secondaires, et de s'enrichir plus encore en exploitant des métaux inconnus sur Terre, où les orphelins jusqu'à quatorze ans vivent dans la Ferraille, l'immense casse à ciel ouvert, et où ceux qui veulent s'encanailler ont le choix entre le quartier des prostituées et la Foire. Les clins d'oeil à Gustave Zola ou Jules Verne sont plaisants, comme son aspect de conte moderne, où passent les figures de l'ogre, de l'Eventreur et des enfants perdus.

A part les enfants de la Ferraille, mais on les voit peu, les personnages manquent de nuances à mon goût : par exemple Jules évoque un peu trop le chevalier sans peur et sans reproche, et le méchant l'est atrocement. Il n'y a guère qu'Hugo qui ait été peint en couleurs contrastées, ce qui le rend très humain et crédible, de façon assez paradoxale. Mais il ne s'agit là que d'un léger bémol, qui n'enlève pas le plaisir de lecture. A réserver aux adultes, toutefois : je ne peux pas considérer ce roman souvent noir comme adapté à la jeunesse, ou alors à partir d'au moins seize ans, car les descriptions de cadavres, et la violence de certaines scènes me semblent excessives pour les adolescent.es.

Le rythme est bon, s'il s'accélère à partir du dernier tiers, et l'on ne s'ennuie pas, car la découverte de l'univers où se déroule l'histoire, au début du livre, supplée aux scènes d'action, qui sont regroupées plus tard. Enfin, je ne peux que saluer la magnifique couverture d'Aurélien Police, aussi appropriée que belle. En somme, une découverte fort plaisante, et un nom à retenir parmi la nouvelle génération des auteur.ices français.es des littératures de l'imaginaire.