Les Chroniques de l'Imaginaire

La palefrenière (Les chevaux de la mer - 1) - Godard, Jocelyne

Nous sommes en 1065. Bérengère est la fille d'un petit baron anglais du Sussex et de sa femme, une Normande morte pendant son enfance. Du haut de ses seize ans, elle adore les chevaux et passe le plus clair de son temps avec Olaf, le vieux palefrenier de son père, qui lui prodigue l'attention et l'affection que ce dernier n'est visiblement pas désireux de lui accorder. Il envisage de lui faire épouser le comte de Chichester, un vieil homme à la réputation épouvantable, une idée qui n'a rien pour plaire à la jeune fille. Après avoir été violée par ce sinistre individu, Bérengère n'hésite plus : déguisée en garçon, elle s'enfuit en Normandie où elle va petit à petit se faire une nouvelle vie dans les écuries ducales.

La palefrenière est le premier tome de la trilogie des Chevaux de la mer qui suit la conquête normande de l'Angleterre à travers les yeux d'une jeune fille, Bérengère. Son ascendance mixte, à la fois anglaise et normande, l'amène à côtoyer de près les principaux acteurs de ces événements historiques, qu'il s'agisse du duc de Normandie Guillaume, qui n'est pas encore le Conquérant, ou de son rival anglais le comte Harold Godwinson. Étant passionné par l'histoire anglaise de la période pré-1066, j'étais content de découvrir qu'il existe des romans prenant place dans ce cadre spatio-temporel au-delà des Histoires saxonnes de Bernard Cornwell. Sous la jolie couverture qui reprend un fragment de la célèbre tapisserie de Bayeux, le résultat n'a malheureusement pas été entièrement à la hauteur de mes espérances.

Pour commencer par les bons points, c'est intéressant d'avoir un point de vue féminin sur une période où les hommes tiennent le haut du pavé. Bérengère a un caractère bien trempé, ses relations avec les autres personnages sont crédibles et ses aventures, sans être d'une originalité foudroyante, sont plaisantes à suivre. Son amour des chevaux est particulièrement bien retranscrit, au point qu'on pourrait se demander s'il n'est pas partagé par Jocelyne Godard elle-même.

Néanmoins, c'est surtout le cadre qui m'avait donné envie de lire ce livre et de ce point de vue, La palefrenière m'a plutôt déçu, tant l'Angleterre pré-normande qu'il dépeint pourrait tout aussi bien être l'Angleterre post-normande que l'on connaît mieux, celle de Robin des Bois et du shérif de Nottingham. Les termes employés sont ceux du féodalisme du Moyen Âge central, on ne trouvera aucun échantillon du vocabulaire spécifique à l'époque anglo-saxonne (des mots comme thegn ou wergeld auraient-ils été trop déroutants pour le lecteur profane ?) et même l'onomastique évite presque systématiquement les noms anglo-saxons ou norrois qui étaient la norme avant 1066 outre-Manche. Le problème semble moindre du côté normand, mais il faut dire que c'est un cadre qu'une autrice française est susceptible de mieux connaître.

Quelques bourdes grossières, comme ce passage qui localise Winchester dans le Sussex au lieu du Wessex, donnent l'impression d'un certain manque de rigueur. C'est aussi le cas de la narration, ce qui est plus grave. Le texte se présente comme un récit à la première personne, mais à plusieurs reprises, on trouve des passages rédigés à la troisième personne, et Jocelyne Godard rapporte fréquemment des événements auxquels la protagoniste n'assiste pas, ou bien les sentiments et les pensées d'autres personnages qu'elle. Ça pourrait être un effet de style, mais ça ressemble davantage à des oublis, comme si le roman avait d'abord été écrit à la troisième personne avant d'être transformé en texte à la première personne de manière un peu trop précipitée.

J'ai donc été déçu par La palefrenière, mais c'est en grande partie lié à mes attentes qui ne seront pas forcément les vôtres. Si vous ne souhaitez rien d'autre qu'une romance médiévale facile à lire, ce n'est pas un mauvais choix. Cela ne m'empêchera pas non plus de lire la suite, car je suis curieux de voir la manière dont Jocelyne Godard va traiter le prolongement des événements conduisant à la fatidique bataille de Hastings.