Normal que le petit Olivier Canteloup et la petite Muriel Ferrier soient amis : tous deux sont ostracisés par les autres enfants du village, à commencer par Laurent, le frère aîné de Muriel. En cela, les enfants ne font que suivre l'exemple de leurs parents, qui n'adressent pas la parole à Anna Canteloup, la mère d'Olivier, et n'en parlent qu'en termes injurieux.
Plus il grandit, plus Olivier sent qu'il y a des choses qu'on ne lui dit pas, et moins il le supporte. Mais quand on lui raconte ce qui s'est passé au village pendant la guerre, il est encore bien trop jeune, et déjà bien trop abîmé, pour comprendre qu'aucune vérité n'est univoque quand il s'agit de rapports humains.
Le début m'a fait penser à ces boules de verre qui contiennent un paysage, totalement transformé par les flocons qui tombent quand on retourne la boule, car c'est ce qui arrive à son petit personnage : il neige, et tout change. Mais rien ne redeviendra comme avant. Ce roman court est un petit bijou, très bien écrit, avec des personnages forts et complexes. Francis Berthelot sait à merveille décrypter les replis de l'âme humaine, et le lien entre attirance et cruauté.
Le monde décrit ici ne se borne pas aux humains : les animaux, les arbres, les pierres, les objets ont une âme, et s'expriment à leur façon, participent d'un univers sans pitié d'où a disparu la notion même de rédemption. C'est pour cette vie universelle, et cette communication inter-espèces, que j'ai classé ce roman en fantastique, même si les marques de genre sont ici très légères.
La progression de l'intrigue est maîtrisée, la tension ne retombe jamais, dans ce roman étouffant. Même si l'intrigue est clairement située dans le temps, juste après la Seconde Guerre Mondiale, et l'Occupation, le thème de l'amour entre jeunes gens ennemis de par leur naissance est aussi vieux qu'Homère. La différence avec ce qu'a pu en faire Shakespeare, par exemple, c'est que la focale est mise ici sur la génération suivante, sur les traces que laissent les horreurs et les errements du passé, sur les conséquences.
En somme, si vous voulez lire un roman magnifiquement écrit, noir, et qui se lit très bien isolément, même s'il ouvre un cycle, n'hésitez pas à découvrir cette histoire déjà ancienne, mais qui n'a pas pris une ride.