La belle actrice d'origine finnoise Katri d'Alencourt est le pilier du théâtre du Dragon, menacé par une suite trop longue d'insuccès. C'est pourquoi il est si important que la prochaine pièce, Oreste et Pylade, rompe avec la série. Sur son chemin, Katri rencontre Gus, un artiste de rue époustouflant de maîtrise en matière de trompe-l'oeil, et très beau garçon de surcroît. La découverte qu'il a perdu le souvenir de la plus grande part de son passé n'enlève rien à son charme.
Wilfried Retter, le directeur du Dragon, y est aussi sensible, mais, après les miracles que le jeune peintre a réalisés sur le minable rideau de scène de la pièce précédente, c'est pour son talent qu'il lui propose de couvrir un mur blanc à l'entrée du local d'une fresque représentant "le génie du théâtre". Or, ledit génie, Mélusath, ne va pas se borner à rester sagement accroché à un mur.
Quand les répétitions se passent mal, entravées par la haine et la peur qu'éprouve Katri à la fois pour Clytemnestre, son propre personnage, et la jeune femme, Muriel, qui joue Electre, sans compter des incidents inexplicables, le génie va en effet s'en mêler. Le spectacle doit continuer, et le théâtre survivre, quoi qu'il doive en coûter aux uns et aux autres.
Premier roman du cycle à appartenir franchement au genre fantastique, il a également la particularité de reprendre les fils de ses prédécesseurs, puisqu'on y croise à nouveau des personnages tant de L'ombre d'un soldat que du Jongleur interrompu. Si on y retrouve également le thème de la vérité des masques, c'est à un niveau différent. En effet, ici il s'agit de renouer avec l'intégralité de son passé, et sa propre vérité, sous la forme de sa douleur la plus enfouie, si l'on veut faire vivre un personnage sur scène, ou, plus généralement, créer.
Il n'est pas si fréquent, dans la littérature de l'imaginaire, de croiser des femmes mûres dans toutes leurs ambiguïtés et déchirures, même à l'heure actuelle, et c'était pire il y a vingt ans. Le talent avec lequel Berthelot réussit ce pari ici m'a impressionnée, et touchée, comme la finesse de la nuance qu'il sait mettre entre les femmes, au corps à la fois objectivable et menaçant, et le féminin, que l'on peut s'incorporer, justement.
En somme, avec ce troisième opus, le cycle prend une autre dimension, et confirme la maîtrise que les lecteurs de l'auteur lui connaissaient déjà dans d'autres genres.