Les Chroniques de l'Imaginaire

1793 - Natt Och Dag, Niklas

Stockholm en 1793. Mickel Cardell dort ivre mort sur la table d'une taverne, lorsqu'il est réveillé par un gamin des rues qui lui dit avoir trouvé un cadavre près du rivage. En tant que boudin (auxiliaire de police), Cardell se rend sur place et découvre une forme flottant au beau milieu du lac Fatburen, le pire égout de la ville. Se débarrassant de son bras en bois, car il est manchot, il s'enfonce dans les eaux immondes et se saisit de ce qui ressemble à un animal mort. Mais là, c'est une vision d'horreur qui le saisit, il s'agit bien d'un humain mais qui n'a plus de bras, de jambes, de dents, dont la langue a été coupée et les yeux arrachés.

A la demande du chef de la police, Cecil Winge est chargé de l'enquête. C'est un homme de loi, d'une trentaine d'années, qui est doté d'un esprit de déduction hors norme mais qui a la particularité d'être malade de phtisie (tuberculose), ce qui le condamne à mourir à très court terme. Son état physique est tellement dégradé que des paris sont tenus pour deviner la date de sa mort.
Cardell, obsédé par le mort, se rend au cimetière où le cadavre attend une sépulture et rencontre alors Winge. Les deux s'observent et se jaugent, l'un a un physique imposant et semble plutôt rustre, l'autre est d'une maigreur effrayante, crache du sang mais garde son sang-froid en toute circonstance.

Remarquant le bras en moins - Cardell est un vétéran mutilé de la guerre russo-suédoise -, Winge lui demande son avis sur les cicatrices des moignons du cadavre. Tous deux constatent que la victime a eu ses membres coupés l'un après l'autre, et que tout a été fait pour le garder en vie bien après ses mutilations.
Winge propose alors à Cardell de l'aider dans son enquête afin de retrouver l'homme capable de telles ignominies.
Après bien des hésitations, Cardell décide d'accepter, obsédé par cet inconnu à qui il veut rendre justice et dont le corps mutilé fait écho à sa vie militaire. Winge, quant à lui, se lance dans cette affaire afin d'occuper son esprit, ce qui lui permet d'occulter un temps la maladie, mais aussi et surtout pour comprendre les raisons du tueur qui s'est acharné sur sa victime.

On va donc suivre les péripéties de ce duo improbable, qui va tenter de résoudre l'énigme de ce crime horrible. Deux hommes au bout du rouleau, dont l'un est en fin de vie et l'autre manchot, marqué par son passé, qui a au fond de lui une violence terrible qu'il laisse parfois éclater.

Niklas Natt Och Dag nous entraîne dans une histoire sombre, terriblement noire, où la misère et la violence sont omniprésentes. 

Les descriptions des quartiers de Stockholm, des conditions de vie du peuple, ainsi que les personnages croisés dans l'histoire rendent l'atmosphère lourde, glauque et poisseuse. On est véritablement immergé dans cette noirceur, scandalisé par les situations décrites et par l'injustice subie par certains protagonistes. On a vraiment l'impression d'être avec eux au cœur de l'histoire, il nous fait ressentir cette misère, cette violence latente.

L'alliance de la glace et du feu est un classique dans les romans, mais là les personnages sont tellement authentiques et atypiques qu'on est pris par ce duo d'enquêteurs qui mène un combat contre le mal, les inégalités de la société, mais aussi contre eux-mêmes.

On s'attache rapidement à Cardell, la grosse brute estropiée. Beaucoup plus difficilement à Winge car il est froid et ne laisse filtrer aucun sentiment. Par contre, plus on découvre son histoire, plus cet homme est touchant et sa force de caractère nous laisse admiratif.

Ce qui est intéressant aussi dans ce polar, c'est que cela se passe en Suède à la fin du XVIIIème siècle, nous ne sommes pas habitués à lire des romans se passant à  cette époque dans ce pays. Moi qui suis un passionné d'Histoire, j'ai découvert une partie de celle de ce pays et constaté que malheureusement la misère était aussi terrible là-bas qu'en France à la même époque.
D'ailleurs la référence à la France revient régulièrement, avec un peuple suédois décrit comme étant à la fois admiratif et effrayé par la révolution française. Et une aristocratie arc-boutée sur ses privilèges qui n'a pas conscience des inégalités de la société et qui ne s'en soucie pas le moins du monde. On sent que les recherches de l'auteur ont été approfondies et qu'il s'est parfaitement documenté afin de retranscrire la vie durant ces années là.

L'écriture est incisive, percutante, on est pris à le gorge par cette histoire sordide. La construction de l'ouvrage n'est pas classique non plus, avec une première partie sur l'enquête, une deuxième et une troisième partie sur des personnages que l'on n'a pas encore croisés auparavant. On comprend mieux l'intérêt d'une telle configuration une fois que l'on a fini le livre.

Je n'ai pas lâché le roman car j'ai été pris par le rythme, l'intrigue et les personnages. Lorsque l'on a un peu de répit dans la lecture, c'est pour mieux repartir dans la noirceur et le désespoir.
La seule lueur vient de l'alliance des deux héros, même s'ils sont des cas désespérés, qui nous permet de croire (un peu) à une humanité possiblement meilleure. Ma seule réticence concernant cet ouvrage, c'est l'état de santé de Winge. Va-t-on avoir droit à plusieurs suites ?

Je suis épaté que l'on puisse écrire un premier roman aussi puissant et je comprends mieux toutes les critiques élogieuses à la sortie de l'ouvrage.
Je recommande fortement ce polar historique !
Merci à Freyja pour ce formidable conseil de lecture.