Les Chroniques de l'Imaginaire

Une femme en contre-jour - Josse, Gaëlle

Une fois n'est pas coutume, si Gaëlle Josse nous a habitués à s'intéresser aux destins de petites gens, il s'agit cette fois de celui d'une femme ayant réellement existé : Vivian Maier. Son nom a commencé à circuler il y a quelques années, après qu'un homme a découvert ses photographies par hasard. John Maloof avait acheté des cartons au cours d'une vente aux enchères. Ces fameux cartons qui, selon qu'on est chanceux ou pas, peuvent être de véritables déceptions ou renfermer des trésors inestimables. Pour lui, la découverte avait mal commencé : que des photos, pellicules non développées, négatifs, rien qui puisse lui servir pour illustrer le livre qu'il projette d'écrire sur un quartier de Chicago. Mais de temps à autre, regardant ces clichés de plus près, il est intrigué. De ces images se dégage quelque chose. Il y a là du talent. Et qui est cette femme qui apparaît régulièrement sur ces photos, sans jamais en être vraiment le sujet ? La photographe, bien sûr. Mais qui est-elle ? C'est en fouillant largement le contenu de ces cartons qu'il va tomber sur son nom écrit en tout petit, presque effacé. 

Il apprend alors que Vivian Maier est morte il y a peu. Dans l'anonymat le plus total et dans une solitude désolante. Persuadé qu'i tient là une découverte artistique majeure, John Maloof va tout faire pour que cette photographe soit connue et reconnue, malgré le mépris et la condescendance du milieu artistique installé. Aujourd'hui, des expositions Vivian Maier se tiennent partout dans le monde et tout un chacun peut admirer ses clichés. Beaucoup de gens la connaissent maintenant qu'elle est décédée. Mais comment était-ce avant, quand elle était bien vivante ? C'est là que Gaëlle Josse intervient avec cette biographie.

Vivian Maier était nurse. Elle profitait de ses promenades avec les enfants pour prendre des photos, saisissant à l'occasion son portrait dans une vitrine. C'était une femme discrète et effacée. La famille chez qui elle sera restée le plus longtemps, dix-sept ans, est celle des Gensburg. Les trois fils ont pris soin d'elle plus tard, quand ils se sont rendu compte qu'elle vivait dans la misère. Ils lui ont trouvé un logement, payaient le loyer. Et il n'y avait guère qu'eux à son enterrement. Gaëlle Josse remonte loin pour tenter de comprendre ce qu'a été la vie de cette femme, qui a grandi plus avec sa grand-mère qu'avec ses parents, qui étaient des égoïstes peu faits pour fonder une famille. Sa grand-mère était française, et Vivian a eu l'occasion de vivre en France et d'apprendre la langue. Ses jeunes années dans l'hexagone ont certainement été les plus belles de sa vie, dont la fin a été d'autant plus lugubre qu'elle a pris une quantité de photographies qu'elle n'a jamais pu faire développer, faute d'argent. Elle a dû se séparer de ses cartons de photos, faute de place.

La vie de Vivian Maier est tristement romanesque et Gaëlle Josse n'a plus eu qu'à fouiller davantage pour en tirer toute la trame et la broder avec son talent de conteuse. C'est ce qui rend cette biographie si poignante. Tout en gardant une certaine distance, la sympathie de l'autrice transparaît et nous rapproche du destin de cette artiste qui était bien partie pour finir dans l'oubli. Un texte à la fois intéressant et touchant.