Les Chroniques de l'Imaginaire

L'abîme du rêve (Le rêve du démiurge - 9) - Berthelot, Francis

Ferenc Bohr, auteur d'un cycle de neuf romans intitulé Le rêve arborescent, s'inquiète de voir apparaître les personnages de ses romans dans sa vie de tous les jours. Rapidement, toutefois, d'autres personnes les voient également, ce qui, bien que rassurant quant à sa santé mentale, ne l'est pas sur les autres plans, du fait que certains d'entre eux lui en veulent terriblement, et qu'ils vont profiter de leur emprise de plus en plus grande sur le réel pour lui nuire de toutes les façons possibles.

Heureusement, As-Tilt, l'ombre fidèle de l'auteur, Zack Lester, son compagnon, Lionel Herqueur, qui le représente chez son éditeur, et certains de ses propres personnages, sont prêts à venir à sa rescousse, et ne sont pas sans moyen d'action.

Cette mise en abyme des huit romans précédents, très réussie, interroge une fois de plus le lien entre vérité et réalité, et les rapports entre littérature et réalité. L'entrelacement des intrigues, et des personnages qui ont constitué le cycle et qui sont bien reliés dans un diagramme en fin d'ouvrage, était complet à la fin du tome précédent. Il restait donc à les mettre en relation avec leur auteur lui-même, ou du moins avec le(s) personnage(s) de leur auteur. Car si l'on imagine la possibilité d'êtres fictifs quittant leur monde d'origine pour hanter le nôtre, leur auteur pourrait aussi bien devenir le personnage d'une oeuvre de fiction.

Certes, on a lu ailleurs des humains réels dans un univers de fiction et inversement (le nom de Jasper Fforde vient immédiatement à l'esprit), ou des auteurs - généralement morts - héros de roman, mais je ne me souviens pas avoir jamais rencontré ce cas particulier d'un auteur et de ses créatures se retrouvant ensemble au sein d'une même oeuvre littéraire signée de ce même auteur. L'effet est assez vertigineux, et d'une logique à la fois implacable et loufoque. Il permet en même temps de se pencher sur le réalisme magique, et sur ce que l'auteur désigne sous le terme "transfictions" dans sa Bibliothèque de l'Entre-mondes.

Ce neuvième tome, s'il n'apporte rien aux intrigues tressées dans les huit précédents, emporte le cycle entier à un autre niveau, et en fait une oeuvre marquante dans le paysage de l'imaginaire français. Cela n'étonnera pas les lecteurs et lectrices fidèles de l'auteur, habitué.e.s de longue date à l'inclassabilité de ses romans (que l'on songe à La lune noire d'Orion ou à La ville au fond de l'oeil, par exemple !), mais ne manquera pas de lui en gagner d'autres, étant donné la progression au sein du cycle, d'un réalisme quasi intégral à autre chose, en passant par le fantastique assumé.

L'édition chroniquée ici comporte des compléments utiles, sous la forme d'un index des personnages, mentionnant les romans où ils apparaissent ; d'un calendrier retraçant les dates de vie et mort de chacun, ainsi que les dates des événements relatés dans les différents romans, particulièrement utile à mon sens, du fait des différentes trames temporelles en jeu pour les histoires des Ferrier et des Algeiba, notamment ; d'un schéma reliant les différents romans du cycle, et enfin d'une postface signée Samuel Minne.