« Il était une fois », quatre petits mots dont le pouvoir sur l'imagination humaine n'est plus à prouver. Qu'un texte débute par cette courte phrase et sa lectrice sait d'emblée où elle se trouve, dans l'univers merveilleux des contes de fées. Néanmoins, il faut se méfier des apparences, car les quatorze nouvelles rassemblées dans Quand je serai grand, je serai mort ne sont pas des contes de fées comme les autres. Le sous-titre du livre l'indique en toutes lettres, ce sont des contes déliquescents.
En effet, le trait d'union qui rassemble ces quatorze textes (au-delà d'une courte introduction et conclusion à la première personne qui m'ont paru un peu gratuites), c'est la mort, ou plutôt les morts. Pas de Faucheuse squelettique ici, mais plutôt une série de macchabées qui s'obstinent à ne pas laisser les vivants en paix et à les mener à leur perte. Si quelques-uns sont inertes et silencieux, comme le pendu de Pour qui croassent les corbeaux ou le cavalier de Thanaphobos, la plupart n'hésitent pas à se manifester dans ce bas monde et tous ont en commun un solide caractère de cochon, plus ou moins justifié selon les cas. Avares, rancuniers, mesquins, revanchards, les défunts qui se succèdent dans ce recueil sont rarement de ceux dont on a envie de porter le deuil, d'autant que leur apparence est à l'avenant. Si les histoires qui finissent mal et les descriptions de chairs décrépites vous répugnent, vous aurez sans doute du mal à finir ce recueil.
Ces descriptions sont d'autant plus saisissantes que la plume de Nicolas Liau est très joliment chantournée, avec un vocabulaire recherché, une belle maîtrise du rythme et d'élégantes envolées lyriques. La postface (un peu pédante) tisse des liens avec l'œuvre de Tim Burton, bien entendu, mais aussi avec les écrivains romantiques du dix-neuvième siècle et c'est une comparaison plutôt bien vue. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, la richesse de la langue ne diminue pas l'horreur viscérale de ces nouvelles, bien au contraire. J'ai beau avoir le cœur solidement accroché, Lange et linceul m'a retourné l'estomac et je ne suis pas près d'oublier Cléore, femme enceinte morte avec ses deux petites jumelles qui forment un trio répugnant à souhait.
Pour autant, la lecture de ce recueil n'a pas été un épouvantable calvaire. Grâce à sa maîtrise du style, Nicolas Liau réussit à insuffler à ses nouvelles l'essence des contes de fées, leur caractère nébuleux et parfois sentencieux qui les rend singulièrement fascinants. Mes favorites sont celles qui laissent le plus de place à la fantaisie, comme Corps et biens, Deux pieds dans la tombe ou Dernières volontés d'une pucelle qui frise le grivois, mais j'ai aussi apprécié les plus mélancoliques À tous les vents ou Le Martyre des cendres. Dans l'ensemble, je recommanderais Quand je serai grand, je serai mort aux cœurs bien accrochés : il les accompagnera à merveille lors de ces nuits d'hiver où l'on se réfugie sous la couette quand le vent hurle au-dehors.