Liber Gonvallo et Wil Ganz sont devenus amis à force de partager la même cellule au bagne, et les mêmes corvées, et personne n'a réalisé à quel point l'alliance de la haine de Gonvallo pour un système contre lequel il luttait et les talents de malfrat de Ganz pouvait être redoutable. Quand ils réussissent à s'évader, ils sont prêts à tout.
C'est leur rencontre avec Bravo d'Iquitos qui va changer la vie des trois hommes. En effet, le jeune Bravo, qui a abandonné ses études d'histoire ancienne sur un coup de tête et un chagrin d'amour, s'est réfugié pour bercer sa déception sur le mont 84, une ancienne mine forée par des forçats, qu'il a explorée longuement. L'arrivée des deux fugitifs donne un autre sens à ces explorations, puisqu'il s'agit à présent de mettre la mains sur le stock d'armes dont Gonvallo avait entendu parler.
Lors de leur halte à Archer-le-Droit, Bravo voit la photo d'une jeune fille, et en tombe amoureux. Celle-ci, Almérika, il l'apprendra plus tard, n'en peut plus de vivre auprès de son père endeuillé, et rêve, en guise de Prince Charmant, d'un audacieux chevalier qui arriverait jusqu'à elle pour l'enlever. Le lieutenant Soren van Goës s'ennuie à mourir dans son poste de coordinateur, et seule la présence de Hollie, sa charmante secrétaire, l'empêche de déprimer totalement. Quand il entend parler de tueries perpétrées par des furieux, toutefois, ses instincts de détective se réveillent, et il va tout mettre en œuvre pour arrêter ces malfaiteurs, quitte à tolérer d'être instrumentalisé.
Entre science-fiction, polar, romance et road-movie, ce roman est un kaléidoscope de genres, mais le mélange fonctionne plutôt bien, du moins à partir du moment où l'action démarre véritablement, après un lent début de mise en place de l'univers et des personnages. L'univers, qui pourrait être une uchronie basée sur la civilisation grecque si la planète où se déroule l'histoire n'avait pas deux lunes, est bien construit, avec une histoire dont on apprend des bribes attrayantes au fur et à mesure, et une géographie qui prend elle aussi de l'ampleur au fil de la cavale des protagonistes, et de la montée des tensions entre le pays où elle se déroule et ses voisins.
Les personnages s'étoffent également au fil des pages, jusqu'à acquérir un vrai relief, et devenir plus durement eux-mêmes. L'écriture est remarquable, nuancée et précise, riche sans être pesante, et la façon dont chaque personnage a ses propres tics langagiers, par exemple, est un puissant facteur de caractérisation.
Je ne connaissais pas ces auteurs, n'ayant pas (encore) lu leur ouvrage le plus connu, Les soldats de la mer, mais nul doute que je vais m'y intéresser de plus près dorénavant. Ceux qui les connaîtraient déjà seront sans doute satisfaits de re-visiter un univers déjà connu, quoiqu'à une autre époque. Mais dans tous les cas, je ne peux que recommander la lecture de ce roman original, qui fait trop penser à certains traits de la géopolitique actuelle pour ne pas faire froid dans le dos.