Le temps est pluvieux, en cette fin novembre 1955, au port d'Anvers. Et comme cela n'incite pas les foules à sortir, cela permet aussi de se rencontrer en toute discrétion, pour les activités qui sortent de la légalité. Justement, un étrange personnage rend visite au capitaine d'un navire qui vient d'accoster, en provenance du Brésil. Le bateau a eu une avarie, subissant un retard de plusieurs semaines. Pas de quoi inquiéter l'équipage, qui avait des vivres suffisants, mais il en est tout autrement pour la cargaison, illégale, composée de nombreux animaux qui n'ont pas survécu...
Ainsi, perroquets et autres singes ont été purement et simplement décimés. Seules deux panthères ont survécu, ainsi que ce qui ressemble à un singe, sans en être un tout à fait. L'animal est méfiant, mais possède une très longue queue, qui lui permet d'ailleurs d'attaquer ses visiteurs du jour, de se libérer, et de se retrouver libre dans la Belgique des années 50...
C'est à présent dans une école bruxelloise que l'on fait la connaissance de la classe de Monsieur Boniface, un instituteur qui est on ne peut plus gentil avec ses élèves, au grand désarroi du directeur de l'établissement. Boniface est célibataire, et il a des vues sur mademoiselle Van Den Bosche, la mère de François, un de ses élèves. François comme sa mère sont souvent les victimes de bien des quolibets, dans cette petite localité : François est né d'une aventure entre sa mère et un ancien soldat allemand. Une aventure qui est loin d'être bien vue par les esprits étriqués de l'époque...
Ainsi, si François souffre des relations avec ses petits copains à l'école, il trouve refuge chez lui, notamment en recueillant toutes sortes d'animaux qu'il trouve, et qu'il soigne. Sa maison est ainsi un véritable refuge pour bien des animaux, que l'on trouve en nombre : en plus du classique chien et chat, on compte chez François un marcassin, tout nouvel arrivant, un curieux dindon qui fait office de coq au réveil, des batraciens, une chauve-souris, un cheval, et même un couple de ragondins qui passe son temps à se reproduire dans la baignoire familiale...
Bientôt, les choses vont prendre une étrange tournure, avec les enfants qui iront franchement trop loin avec François, en lui rasant la tête, Boniface qui se retrouve coincé entre des sentiments pour mademoiselle Van Den Bosche, et bien entendu la découverte d'un animal très étrange cette fois, par François... Un animal qui sera bien mal en point, mais qui devrait bien vite se remettre...
Lorsqu'on parle du Marsupilami, on pense tout de suite à l'univers coloré et bucolique créé par André Franquin. Le Marsupilami évoque les forêts luxuriantes de Palombie, et des atmosphères, encore une fois très colorées, souvent destinées à un public très large, comprenant la jeunesse. Les éditions Dupuis ont décidé, avec bien entendu Zidrou et Frank Pé, de prendre ce personnage et cet univers avec un angle totalement différent ici, et cela se ressent dès la couverture, et dès la toute première planche de l'album.
Exit ici la Palombie et ses forêts, on se retrouve d'emblée dans un port d'Anvers sombre, pluvieux, osons le terme : glauque. On sait qu'on ne sera pas ici dans un album joyeux où tout se termine bien. Et justement, quel plaisir de ressentir cela ! Le Marsupilami qu'on rencontre ici a tout d'un animal sauvage, et tel un gorille, il est bien capable de faire beaucoup de mal. On ne le voit pas tuer des humains, quand même pas. Mais tout ceci restera suggestif, et laissé à l'interprétation de chacun.
Et pour faire ressortir le côté animal du Marsupilami, qui de mieux que Frank Pé, qui est un passionné du règne animal, magnifique dessinateur de la trilogie Zoo, parue dans la collection Aire Libre de Dupuis ? D'autant qu'ici, Frank Pé a la tâche de tomber juste sur le plan graphique avec un personnage ô combien célèbre dans la maison Dupuis, tout en pouvant aussi s'éclater avec de nombreux autres animaux que l'on trouve chez François : un scénario donc complètement à la mesure du talent de ce fabuleux dessinateur.
Le récit de Zidrou, bien entendu, n'est pas en reste et est loin d'être enfantin, forcément : bien des thèmes sont abordés dans ce premier tome, entre la défense de la cause animale, les souffrances que peuvent subir certains enfants dans le milieu scolaire, une belle histoire d'amour qui se met en place, ou encore la façon dont étaient traitées celles qui avaient osé avoir une histoire avec un soldat allemand, durant la Seconde Guerre Mondiale. En ce sens, le livre n'est pas sans rappeler une série comme L'enfant maudit, de Laurent Galandon et Arno Monin, parue il y a une décennie chez Grand Angle.
Ce premier tome de La Bête est une franche réussite, qui aborde bien des sujets. Certes, le côté sombre est là, et c'est ce qui fait la force de la série. Pour autant, on pourra mettre le tome entre les mains de préadolescents, qui trouveront là un angle de vue totalement différent sur un personnage qu'ils auront découvert durant leur enfance. Un coup de cœur, très clairement, et nous attendons la suite avec impatience.