Les Chroniques de l'Imaginaire

The only ones - Dibbell, Carola

Bon. Ce n'était peut-être pas le moment idéal pour lire ce roman. Mais les hasards de l'édition font qu'il est sorti en poche cette année. Et malgré le contexte actuel, je l'ai lu, et je l'ai apprécié !

Notre monde subit de multiples épidémies, pandémies. La Bombay (du nom de la ville où elle est apparue), la Luçon et la Luçon 2 font des ravages. C'est le chaos partout.

Moira raconte son histoire à quelqu'un (dont on ne découvrira l'identité qu'à la toute fin du roman). Dans son langage simple, où les règles les plus élémentaires de grammaire ne sont pas appliquées, vu qu'elle n'a pas pu aller à l'école, vu qu'il n'y a plus (ou presque) d'école, elle raconte sa vie assez spéciale. En effet, Moira, surnommée Moi, est une vivace. C'est-à-dire qu'elle résiste à tous les virus. Elle ne tombe jamais malade.

Bébé, elle a été recueillie par une femme qui l'a élevée comme elle a pu, lui interdisant formellement de sortir. En effet, les enfants sont tellement rares, du moins ceux qui survivent, que leur vie est perpétuellement en danger dehors. A dix ans, un incendie tue sa mère d'adoption, mais elle réussit à s'en sortir. Elle se retrouve donc seule. Pour survivre, lorsqu'elle comprend qu'elle est une vivace, elle vend son corps. Mais pas pour des relations sexuelles. Non, elle vend son corps en morceaux : rognures d'ongles, urine, cheveux. L'histoire commence avec une vente qui promet de lui rapporter beaucoup d'argent. Un homme l'emmène en voiture dans une ferme, où elle rencontre Rauden, un homme qui fait des tests sur elle, et lorsqu'il a la confirmation qu'elle est bien ce qu'elle prétend, il la garde pour récupérer des ovules, du soma (je n'ai personnellement pas vraiment compris ce que c'était), bref, des éléments de son corps, ce qui lui permettrait de mettre au monde un enfant, en ayant recours à une Porteuse. C'est le jackpot assuré ! Vous imaginez, un enfant issu d'une vivace ! Il ne mourra pas en bas âge, tué par un de ces satanés virus !

Moira reste quelque temps à la ferme. Ils trouvent une cliente qui, ayant perdu ses quatre filles en un mois, terrassée de douleur, est prête à payer pour avoir un enfant issu des cellules de Moira. Mais rien ne se passe comme prévu. Rauden et Moira vont se retrouver à fabriquer des bébés en cuve, car toutes les autres solutions n'ont pas fonctionné. Sur les différents échantillons, un seul va rester en vie. Ce sera Ani.

Mais la cliente a entre-temps "changé son avis". C'est donc Moira qui va s'occuper du bébé. Elle part de la ferme avec le nourrisson, et commence alors une vie à deux, entre cette jeune femme sauvage qui ne pense plus qu'à maintenir en vie le bébé, et Ani cet enfant extraordinaire né sans père.

Dans un monde trouble, où on ne sait pas vraiment comment les survivants sont organisés, elles errent de quartier en quartier, rencontrent des gens qui les aident, squattent des appartements, se font volontairement prendre par les quarantaines pour être nourries et logées gratuitement. Malgré son inexpérience et sa naïveté apparente, Moira réussit à s'occuper de l'enfant qui grandit tranquillement.

Elle continue parfois à aller à la ferme, pour subir une Récolte, pour essayer de fabriquer d'autres enfants.

Ani grandit et va à l'école. Moira se bat pour qu'elle puisse aller dans une bonne école. Les écoles rouvrent petit à petit, mais les conditions sont strictes. A partir de douze ans, Ani se comporte comme une adolescente : odieuse, elle hait tout le monde, y compris sa mère.

Moira refuse de lui expliquer les circonstances de sa naissance, elle ne veut pas répondre à la demande incessante d'Ani : qui est mon père ?

C'est un roman assez troublant, qui laisse une impression étrange. En tout premier lieu, ce qui surprend vraiment le lecteur c'est le style. C'est Moira qui parle, et son langage est loin d'être châtié. Jamais de subjonctif, beaucoup de construction de phrases comme "Tu sais pas c'est quoi qui va arriver". Quelques fautes de conjugaison également.

Et malgré cela, la lecture est prenante. On se fait à ce langage. Et on admire le tour de force de l'autrice, et surtout du traducteur, qui réussissent à rendre tout à fait lisible et agréable cette histoire dans un tel langage pendant presque cinq cents pages sans lasser le lecteur ! Car cela doit être beaucoup plus difficile d'écrire dans un tel langage et de rester crédible, et lisible, que d'écrire dans un langage plus conventionnel.

Hormis ce point remarquable du roman, l'histoire est très intéressante, malgré l'avenir sombre, mais le contexte économique et social est assez peu évoqué, cela reste dans le flou. C'est Moira qui raconte, elle voit cela par ses yeux à elle, son histoire à elle.

Les relations mère-fille sont aussi un des sujets principaux du roman. C'est émouvant de voir naitre cet amour, dans un monde aussi chaotique. Rien ne change. L'amour restera toujours le plus fort.

L'autre sujet du roman c'est bien sûr le clonage (même si Moira ne supporte pas qu'on parle de clones). Les différentes techniques utilisées, les réussites, les échecs, les dérives, tout est précis, remarquablement bien décrit.

Un beau roman à lire, mais en prenant de la distance avec ce que nous vivons tous actuellement, qui, heureusement, n'est pas aussi violent que dans ce roman qui, espérons le, ne restera qu'un roman !