Les Chroniques de l'Imaginaire

Le Fort Intérieur - Benson, Stella

Pendant que la première Guerre Mondiale fait rage, avec les premières batailles aériennes dans le ciel londonien, Sarah Brown fait partie d'un comité de dames charitables. En fait, son travail est d'évaluer quels pauvres sont assez "méritants" pour être aidés. Elle-même vit seule, avec David, son chien, et Humphrey, sa valise. Jusqu'au jour où, lors d'une réunion de comité, elle fait la connaissance d'une femme étrange, qui semble avoir plusieurs noms, et qui finit par disparaître en laissant son balai derrière elle, avec son adresse.

Sarah Brown apprend ainsi l'existence de l'île Moufle, et décide d'y aller pour rendre le balai oublié à sa légitime propriétaire. Elle découvre alors que celle-ci tient un lieu nommé Le Fort Intérieur, qui vend, entre autres, du bonheur, et qui a des chambres disponibles pour les personnes solitaires souhaitant le rester. En effet, tout est fait pour que les pensionnaires ne se rencontrent pas. Quand la sorcière, Angela, offre à Sarah Brown d'en faire partie, celle-ci n'hésite pas un instant, et emménage rapidement.

Ce roman illustre bien la déclinaison britannique du réalisme magique, ayant, si j'ose dire, un pied dans le monde réel - celui du Londres appauvri par la Guerre - et un autre dans un monde où les sorcières de nations ennemies mènent leur propre combat, sur les nuages. Ainsi a-t-on les deux visions du même combat aérien, vu d'en bas et d'au-dessus, et c'est très habilement fait. C'est l'exemple le plus flagrant, mais même les personnages les plus prosaïques ont leur face cachée, souvent inconsciente, qui n'appartient pas au monde "réel", Lady Higgins notamment.

Le style est plaisant, léger avec un humour omniprésent, souvent féroce dans sa vision du patriotisme guerrier, comme on le voit dans le "dialogue" des sorcières. Le ton est assez généralement sarcastique, n'omettant pas de pointer les ridicules des personnages. Certaines scènes m'ont paru très drôles, notamment la fin du chapitre 8, avec les biais de l'officier de police en civil, et le début du suivant.

Pour les lecteurs et lectrices qui ne connaissaient pas Stella Benson, une postface et une biographie intéressantes et utiles complètent l'ouvrage.

L'objet livre est particulièrement beau, avec les magnifiques illustrations d'Anouk Faure, que ce soit en couverture ou à l'intérieur. Je suis généralement peu sensible aux aspects graphiques d'un livre, mais là il est impossible de ne pas remarquer, et saluer, la façon dont les dessins servent le texte. Mon seul (très léger !) bémol concerne la disparition de la tortue de Callidor sur la tranche, un marquage visuel que j'appréciais personnellement beaucoup.

En tout cas, une autre sortie de cet éditeur dont je recommande très chaudement la lecture.