Ce numéro de Galaxies rassemble des nouvelles reçues par le magazine lors de son appel à textes pour son numéro 67 consacré à Mary Shelley et à son œuvre-phare, Frankenstein ou le Prométhée moderne. Ces treize nouvelles, qui se sont distinguées par leur qualité, n’ont pu trouver leur place dans le numéro 67, souvent en raison d’une similitude avec une autre nouvelle s’y trouvant déjà, mais ont donc donné naissance à ce numéro 67 bis. Ce numéro ne comprend donc pas les rubriques habituelles du magazine mais se consacre exclusivement à ces nouvelles, réparties en deux catégories : la créatrice d’une part, et la créature de l’autre.
Du côté de la créatrice, on découvre les sources d’inspiration « véritables » de Mary Shelley. Barnett Chevin, dans Voyages, tire le fil des œuvres gothiques et livre, à travers une lettre écrite par Mary, une curieuse aventure macabre. Pour Thierry Jandrok, l’horreur des origines du roman se confond avec celle des guerres napoléoniennes et de l’aliénation des patriotes. Dürenstein – Autriche 1805 nous livre ainsi le récit à faire frémir d’un vétéran. Dans L’homme du néant, Philippe Caza revisite la genèse du récit né en Suisse sous un ton plus burlesque, irrévérencieux – la boutade sur les enfants de l’auteure morts jeunes était de trop pour moi ! - mais qui alterne brillamment des narrations très différentes. Stéphanie Mariaccia se livre également à des jeux de narration dans Irgugai ou la Frankenstein moderne, qui suit très fidèlement le roman originel en le transposant à notre époque et en condensé. L’adaptation est réussie, autant sur le fond que sur la forme. Clément Milian nous emmène lui dans un passé altéré avec Les amants monstrueux de Mary, où un être du futur modifie involontairement le cours de l’histoire par sa rencontre avec Mary Shelley.
Le rafistolage littéraire est également susceptible de créer des monstres comme l’atteste le récit de Thierry Soulard, Frank||||ollec||||stein ou les Exquis Cadavres à la fois étrange, frisant le sordide mais aussi drôle.
Du côté de la créature, des questions d’amour, d’écologie et d’identité sont à l’œuvre. Dans Les derniers jours du Dr. Frank Silbertin, Sébastien Boulade nous livre un récit poignant où le manque de communication et l’enfouissement de ses propres émotions emportent tout sur leur passage, à l’image du docteur Frankenstein qui ignorait les souffrances de cette créature désavouée mais aussi de cette créature qui ignorait le poids de sa vengeance sur son créateur. Dans Mary Christmas, de Erwan Bracchi, des chercheurs futuristes et un peu vulgaires apprennent également à leurs dépens à composer avec les sentiments d’une créature, sur fond de réflexions philosophiques sur le libre-arbitre et de références à la pop culture. L’amour est un sentiment puissant susceptible de pousser à bien des atrocités dans Une seconde chance pour Vera de Jean-Jacques Jouannais où la créature échappe également aux intentions de ses créateurs. Ève de Penny Worldful suit aussi cette ligne de pensée et imagine un univers futuriste où le docteur Frankenstein a bel et bien donné une femme à sa créature masculine, et les conséquences redoutables qui en découlent pour toute l’humanité.
Parmi d’autres d’Éric Morlevat et Superfranky d’Alain Rozenbaum confèrent eux aussi à leur créature la capacité de changer le destin de l’humanité. Dans la première nouvelle, le narrateur est contacté par un mystérieux Professeur après un reportage auprès des bio-hackers, des transhumanistes modifiant leur génome. Dans la seconde, ce n’est pas un glaçon, ce n’est pas un ours polaire, non, c’est Superfranky : le célèbre monstre sort d’hibernation à cause de la fonte des glaces et est bien décidé à la reprendre, quitte à commettre quelques actes terroristes pour faire prendre conscience de l’urgence climatique.
Changement de registre avec Le nègre littéraire et ses cadavres exquis de Faust Netschaiev qui nous fait suivre les déboires d’un auteur, sa carrière morcelée entre de nombreux pseudonymes et sa fascination pour les prothèses de célébrités littéraires qui le mèneront à sa perte.
Ce numéro 67 bis est un très bon compagnon au premier numéro mais peut bien sûr se lire de manière indépendante. Les nouvelles sont à mon sens de qualité identique à celles du numéro 67 : autrement dit, elles sont toutes très bien écrites et percutantes et nous embarquent dans des ascenseurs émotionnels. Il plaira à tous les amateurs du roman de Mary Shelley et des nombreuses réinterprétations possibles de son œuvre.