Les Chroniques de l'Imaginaire

La fièvre d'Urbicande (Les cités obscures - 2) - Peeters, Benoît & Schuiten, François

Les Cités Obscures. Voilà bien une série qui ne peut pas passer inaperçue, ou être inconnue, pour des lecteurs qui baignent dans le neuvième art depuis un certain nombre d'années. Le duo Benoît Peeters (au scénario) et François Schuiten (au dessin) ont créé un monde avec cette série, qui a largement contribué au fait de faire de François Schuiten LE dessinateur auquel on pense quand on évoque des dessins d'architecture.

Initialement, le second tome de la série Les Cités Obscures, La fièvre d'Urbicande, est paru en janvier 1985, en noir et blanc. On y fait la connaissance de la ville d'Urbicande, dont l'architecture et le côté symétrique sont à prêter au travail de l'urbatecte célèbre, Eugen Robick. Eugen a une préoccupation importante, un projet d'amélioration qu'il discute depuis longtemps avec les Hautes Instances d'Urbicande. Actuellement deux ponts permettent de faire communiquer la Rive Nord et la Rive Sud d'Uribicande. Une situation insupportable, qui génère des temps de transports énormes, mais aussi une dissymétrie que Robick ne supporte plus.

Mais l'urbatecte ne se doute pas encore que cette préoccupation va bien vite passer au second plan, et ce à cause d'un curieux petit cube, de quinze centimètres d'arête, que des collègues lui ont apporté. L'objet, d'apparence anodine, est creux, n'étant composé que d'arêtes constituées d'une matière inconnue, d'une solidité à toute épreuve. Bientôt, les arêtes vont se mettre à grandir, à pousser sur l'extérieur du cube, faisant bientôt un second, puis une troisième cube… L'objet s'étend tout en grandissant, et ce dans toutes les directions de l'espace…

Bien entendu, Robick s'interroge, et il alerte, d'autant que l'objet envahit maintenant sa pièce de vie, son appartement, puis l'immeuble tout entier ! De quoi sérieusement dépareiller avec l'architecture d'Urbicande. Un objet qui pousse de façon inarrêtable et inexorable, voilà qui attire de plus en plus de curieux, tout en amenant les foudres des Hautes Instances sur la personne de Robick.

Ainsi, si ces instances souhaitaient contrôler les allées et venues des uns et des autres entre les deux rives, voilà que les choses se complexifient à grande échelle, avec des gens qui n'hésitent plus à emprunter les arêtes de la structure, qui a maintenant rejoint l'autre rive, tout en continuant de grandir...

Il est aussi à noter que La Fièvre d'Urbicande a remporté le prix Angoulême du meilleur album, lors de sa sortie en 1985. Et aujourd'hui, en découvrant ou en redécouvrant cet album, on comprend aisément pourquoi. Bien des thèmes sont abordés, ou peuvent être vus comme étant abordés, avec cet album qui approche des quarante ans d'existence. Les riches veulent toujours garder le contrôle sur le peuple ? Voilà une question qui est abordée ici. L'homme ne peut pas maîtriser tout ce qui lui arrive ? Oui, c'est abordé également… Même les rats de laboratoires, les travailleurs acharnés, peuvent trouver l'amour ? Eh bien c'est abordé, même si ce n'est pas facilement gagné…

Et que dire de cette réédition, qui met en avant, pour la première fois, des couleurs, qui ont été réalisées par Jack Durieux, un artiste qui n'est pas à la base un coloriste, mais plutôt un graphiste. Jack Durieux s'est inspiré (comme il l'explique lui-même en fin d'album) de quelques cases qui ont pu déjà faire l'objet de colorisations, pour des événements divers, et il est ainsi parti sur l'album complet. Pas une mince affaire, lorsqu'on sait que l'album en question est composé de la bagatelle de 94 planches, toutes plus fines et détaillées les unes que les autres. Le résultat, assez froid et terne, à l'image d'Urbicande, tient toutes ses promesses, avec une palette qui correspond parfaitement au récit de Benoît Peeters et de François Schuiten.

Une réédition couleur réussie d'un album tout simplement incontournable dans le monde du neuvième art, que chacun se doit de posséder absolument.