Ce numéro est un hommage à Jean-Pierre Laigle, disparu prématurément en juillet de cette année. Assez curieusement - quoique ! - le thème de la vie et de la mort, et des rapports entre les vivants et les morts, imprègne le numéro, que ce soit la partie des Fictions ou la partie des articles de fond, d'une certaine façon.
Dans Là-bas, de Natasha Beaulieu, une adolescente qui rêve de normalité se lie à un centenaire solitaire pour avoir perdu, d'une façon ou d'une autre, tous.tes ceux/celles qu'il a aimé.e.s. J'ai beaucoup apprécié ce texte de la lauréate du prix Solaris 2019, avec son jeu d'inversion joliment réalisé qui montre combien la notion de "normalité" (ou d'anormalité, bien sûr !) est culturelle, et de ce fait transitoire. C'est aussi une belle histoire sur la fin de vie et le deuil, et il y en a suffisamment peu sur ce thème pour que ce soit un point positif supplémentaire.
J'ai d'abord eu peur que Avant, la mort nous effrayait, de Marianne Cayer se révèle être encore une autre histoire de zombies. En effet, c'est l'histoire de Mathilde qui, après une catastrophe, s'est réfugiée dans le Fort, avec son amie Soon-Yi, et s'interdit depuis de penser à son mari et à sa fille perdus. Ce que j'ai aimé et trouvé particulièrement réussi et intéressant, c'est la façon dont l'autrice laisse en suspens la question de savoir si les "infectés" sont ou non des zombies, pour mettre en relief la vision qu'en ont les "normaux", d'une part, et d'autre part la raison pour laquelle la maladie les frappe. C'est fin, intelligent et original, et je lirai avec beaucoup d'attention le texte de cette autrice qui nous est promis dans le prochain numéro de la revue.
La Cité des morts, de Jean-Pierre Laigle, est un autre texte original et inattendu. Plongé dans un profond coma, le narrateur est attiré vers une cité futuriste, qui s'avère habitée par les doubles de gens morts depuis longtemps. Ils l'ont invité car ils ont besoin de reprendre contact avec l'humanité afin de pouvoir peser sur le futur de la Terre, car leur existence en dépend. Cette nouvelle présente un mélange séduisant de matérialisme et de métaphysique. Mon sentiment persistant de malaise à la lecture tient au fait que je ne suis pas arrivée à décider si je devais ou non la prendre au second degré, car au premier j'ai trouvé glaçante l'amoralité du narrateur, qui a quelque chose d'un psychopathe.
Avec Lune contre Terre, Terre contre Lune : une rivalité catastrophique, le même Jean-Pierre Laigle signe un récapitulatif commenté érudit et intéressant des fictions sur le thème, par ordre chronologique, et en montrant l'évolution du traitement du sujet au fil du temps.
Dans ses Carnets du Futurible, intitulés cette fois Vie et mort des démocraties en Science Fiction, Mario Tessier évoque le sujet brûlant et très présent - dans les deux sens du terme - des élections américaines. Heureusement pour les lecteurs et lectrices susceptibles de lire ou relire ce document dans le futur, il traite le sujet avec son brio et son érudition habituels, et c'est absolument passionnant et instructif à lire, tout en donnant envie, éventuellement, de relire des romans sur le thème.
La partie Critiques est toujours intéressante à lire, même, ou surtout, quand on n'est pas d'accord avec les chroniqueurs et chroniqueuses de la revue.
Enfin, pour ceux qui attendaient l'annonce du vainqueur du prix Joël Champetier, habituellement faite aux Utopiales, annulées cette année pour cause d'épidémie, ils pourront la visionner à partir de cette page, où ils trouveront aussi des liens vers des vidéos donnant d'autres envies de lecture. Le texte vainqueur sera publié dans le prochain numéro de la revue.