Les Chroniques de l'Imaginaire

Révolution (Matthew Shardlake - 7) - Sansom, C.J.

Matthew Shardlake, convoqué d'urgence à Hatfield par sa principale cliente, Lady Elisabeth, est dépêché pour enquêter sur l'accusation de meurtre portée sur John Boleyn, un lointain cousin de la princesse, vivant à Norwich. Il est accusé d'avoir tué sa femme, Edith. Or il s'avère que celle-ci était venue demander de l'aide à Hatfield, mais en avait été renvoyée. Il s'agira donc pour le sergent royal d'une part d'assister la justice en déterminant si Boleyn est ou non coupable, et d'autre part de faire en sorte que l'on ne découvre pas la visite de la victime à sa parente par alliance.

Dans son enquête, il sera assisté non seulement de Nicholas Overton, son second habituel, mais aussi de Toby Lockswood, un employé de Maître Corpuldyke, l'avocat habituel d'Elisabeth, qui présente l'avantage d'être originaire des environs de Norwich. Les deux jeunes gens se prennent en grippe mutuellement très rapidement, Toby supportant mal d'être regardé de haut par Nicholas. Dès leur arrivée dans le Norfolk, ils se rendent compte que la situation sociale est explosive, le peuple étant très en colère contre les hobereaux et riches bourgeois locaux. Les paysans leur reprochent d'enclore les terrains communaux pour y faire paître leurs moutons, et les pauvres citadins d'avoir monopolisé toute la filière de transformation de la laine au détriment des petits artisans.

Sur le front du meurtre, l'ambiance est tendue aussi, du fait que tout le monde semble persuadé de la culpabilité de John Boleyn, un homme au caractère emporté, et à qui ses voisins n'ont jamais pardonné de s'être mis en ménage avec une ancienne serveuse de taverne, Isabella Heath, puis de l'avoir épousée. Bien sûr, ce second mariage étant invalidé par le retour de celle qui était en fait sa seule épouse légitime, Boleyn a un solide motif pour en vouloir à cette dernière. Il révèle d'emblée à Shardlake que son premier mariage a toujours été malheureux, Edith ne l'aimant pas, ayant clairement horreur de l'acte sexuel, et semblant même incapable de s'attacher à leurs enfants, des jumeaux au caractère épouvantable, âgés d'à peu près dix-huit ans au moment où se déroule l'histoire.

Alors que Shardlake pensait repartir pour Londres, il est fait prisonnier, à la suite d'un concours de circonstances, par les paysans en révolte. Ceux-ci, en attendant les commissaires désignés par le protecteur et qui sont censés rectifier les torts causés par les nobles, décident d'installer un camp sur Mousehold Heath, une hauteur surplombant Norwich. Leur chef, Robert Kett, demande à Matthew Shardlake de l'aider en tant que juriste, en s'assurant que les nobles, et éventuels malfaiteurs, jugés dans le camp le seront selon la loi. Après maintes hésitations, il décide d'accepter, et parvient même à faire libérer Nicholas Overton, qui avait été emprisonné en tant que gentilhomme. Il n'oublie pas pour autant qu'il n'a pas encore identifié le meurtrier d'Edith, ni celui de deux témoins importants tués pendant son enquête, et il continue ses recherches, notamment auprès de Michael Vowell, l'ancien intendant du père d'Edith, et de Peter Bone, frère de la suivante d'Edith, disparue en même temps qu'elle.

Ce roman constitue un pavé impressionnant, mais il se lit en fait rapidement, grâce au style enlevé de l'auteur, et à l'intérêt que présentent les deux arcs narratifs habilement entrecroisés. L'aspect purement historique est tout à fait fascinant pour qui s'intéresse un tant soit peu à l'évolution des rapports entre les classes sociales, et la (relative) démocratie en action au camp de Mousehold, comme la surprise qu'elle provoque chez Shardlake, et surtout chez Nicholas, ont des aspects très actuels à l'heure où les tendances autoritaires des gouvernements s'accentuent en Occident. C'est d'autant plus passionnant qu'un riche appendice nous apprend que tous les faits portant sur les révoltes paysannes de 1548-1549, ainsi que le personnage de Kett, sont exacts sur le plan historique. A ce propos, je recommande la lecture de cet essai historique aux personnes intéressées par le sujet : en effet, là où le roman est vu selon le point de vue de Shardlake, qui ignore forcément ce qui se passe à Londres, l'essai permet d'apprendre la façon dont les actions des rebelles étaient perçues par le protecteur et le Conseil du roi, par exemple.

Les personnages sont nombreux, mais suffisamment caractérisés pour être crédibles et attachants, notamment Simon Scambler, bien sûr, mais aussi Isabella. Le lecteur ou la lectrice peut parfois perdre de vue l'enquête policière, mais l'auteur y revient habilement, distillant les indices et les révélations, souvent par des voies inattendues, ce qui est particulièrement agréable. Les fidèles de l'auteur et de cette série historique de haute volée retrouveront avec plaisir des personnages secondaires récurrents, ici Josephine et Edward Brown, et le couple de Jack et Tamasin Barack. Pour ceux et celles qui ne le connaîtraient pas, ou qui n'auraient pas lu tous les tomes, ce roman peut se lire seul sans difficulté majeure de compréhension. Pour tous et toutes, c'est une histoire touffue mais très bien menée, et un très bon moment de lecture, à la fois distrayante et instructive.