Les Chroniques de l'Imaginaire

New York 2140 - Robinson, Kim Stanley

Charlotte est la présidente des résidents du Met, et elle se soucie d'eux et de l'immeuble. Aussi, quand elle apprend la disparition de Mutt et Jeff, deux codeurs un peu à la dérive qui vivaient dans une tente sur le toit, presque au même moment où arrive une mystérieuse offre d'achat pour le bâtiment, à un prix excessif, elle demande à l'inspectrice au NYPD Gen Octaviasdottir, une autre résidente, d'enquêter dans ces deux directions.

Une autre de leurs voisins est Amelia, la star du cloud. Elle est au-dessus des soucis terrestres. Au sens propre, puisqu'elle vit pratiquement en permanence à bord de son dirigeable, le Migration assistée, d'où elle filme et commente ce qui se passe au sein des couloirs de migration qui ont été créés pour permettre aux animaux de se déplacer vers des climats qui leur conviennent mieux.

Tout cela passe largement à côté des préoccupations de Franklin Garr, trader doué qui a créé un indice lui permettant de suivre au plus près la bulle de l'immobilier intertidal. Entendez par là les habitations de Lower Manhattan qui ne sont pas tout à fait hors de l'eau, même à marée basse, mais qui ne sont jamais sous l'eau totalement, même à marée haute. Car pendant les cent vingt ans qui nous séparent du début de ce roman, les glaces ont sérieusement fondu, et le niveau des mers est monté de quinze mètres, en deux grosses "vagues" désignées sous le terme de Première Impulsion (vers 2060) et de Seconde Impulsion. Chacune d'elle s'est bien sûr accompagnée de désastres humains, et de réorganisations socio-économiques et politiques, majoritairement vers des régimes de plus en plus autoritaires, qui font les beaux jours des armées privées.

Or un jour, alors qu'il est aux commandes de son hydrofoil, en train de rêver aux futures délices d'une soirée torride avec la belle Jojo, Franklin manque couper en deux le frêle esquif de deux de ses voisins du Met, Stefan et Roberto. A vrai dire, les deux enfants perdus ne survivent dans les parages du Met que grâce à la bienveillance un peu distraite de Vlade, le gardien, et le génie tutélaire, de l'immeuble, qui laisse de la nourriture à leur portée. Il n'empêche, Franklin récupère les gamins et les ramène. Il ne le sait pas, mais ça va devenir une habitude. Et changer la vie d'énormément de gens, à commencer par la sienne.

Tous les personnages de ce roman, à un moment ou à un autre, et parfois en quasi-permanence, sont en colère. L'auteur, qui prend la parole sous le pseudonyme du Citoyen, l'est, c'est aussi perceptible que l'amour pour la ville qui transparaît dans ses interventions. Le panorama qu'il dresse de l'évolution ayant conduit à la situation qu'il décrit dans son roman est étayé et plausible, comme le sont les réactions des gouvernants et financiers du monde.

Le personnage principal est clairement la ville même, et parlera certainement davantage à ceux et celles qui la connaissent. L'affirmation de l'auteur qu'elle est l'emblème de toutes les grandes métropoles me laisse sceptique, la géographie et l'histoire propres à New York jouant un très grand rôle dans l'intrigue. Par ailleurs, le twist final qui fait de son roman une utopie, bien qu'il s'en défende, ne serait pas forcément transposable en France, par exemple. Quelque part, il s'agit d'un roman américain pour un lectorat américain.

Sauf que non, pas seulement : New York ne sera pas la seule ville partiellement submergée, les solutions adoptées par les résidents du Met pour faire face à l'appauvrissement d'une très grande majorité de la population (cultures vivrières et sources d'énergie propres sur le toit, cafétéria pour les résidents, d'où la possibilité d'une cuisine commune, etc) sont inspirantes et reproductibles, et la forme d'habitat imaginée par Franklin Garr existe déjà, d'une certaine façon, aux Pays-Bas et dans les Andes. Et le scandale des appartements vides la plus grande partie du temps, alors que des gens dorment à la rue, est actuel en France depuis un bon demi-siècle au moins, par exemple, et ne donne pas de signe d'amélioration.

En ce qui me concerne, j'ai beaucoup aimé la solidité des sources, les idées et l'ambiance du roman, comme le ton, parfois férocement sarcastique. En revanche, j'ai trouvé les personnages sommaires, parfois à peine esquissés, et j'ai regretté que certains fils d'intrigue ne soient pas suivis (la nouvelle drogue, le devenir de Vinson...), même si l'auteur prend la précaution de préciser en fin d'ouvrage qu'il ne dépeint qu'un moment transitoire, ce qui, d'une certaine façon, est une assez bonne définition de l'utopie, d'ailleurs.

En somme, si vous connaissez bien New York, si vous avez envie d'une image (malheureusement) crédible du prochain siècle, ou d'un roman qui alerte sur les actions à prendre maintenant pour éviter d'en arriver là, cette histoire est faite pour vous. Si vous recherchez quelque chose de très bien ficelé sur le plan littéraire, ce ne sera pas forcément votre tasse de thé.