Le nom de Miéville sur une couverture déclenche chez moi quelque chose de pavlovien, le désir absolu de lire le contenu ! Ce réflexe a joué avec ce recueil, alors même que je connais ma difficulté à véritablement apprécier les textes courts. Comme de surcroît le fantastique n'est pas mon genre favori dans les littératures de l'imaginaire, j'ai eu du mal avec certaines des nouvelles.
Ainsi, l'aspect lovecraftien de Les détails m'a révulsée, comme le sujet de Fondations, où tous les murs reposent sur des monceaux de cadavres. Ce sont deux nouvelles qui sont vraiment excellentes, mais difficiles à lire pour moi. En revanche, je n'ai pas été fan de Familier, avec cette espèce de poésie de l'ordure qui m'évoquait Le roi des rats, ou Entrée tirée d'une encyclopédie médicale, oubliée à peine lue, ou Un autre ciel, où un personnage se sent menacé par des intrus venant d'ailleurs via une vitre ancienne qu'il a installée chez lui, bien écrite, notamment au plan de la progression, mais à mon avis assez convenue, ni même de En quête de Jake, même si j'ai aimé la peinture que fait l'auteur d'une Londres en déliquescence, dont on trouvera d'ailleurs une autre version dans Le tain.
J'ai bien aimé La piscine à balles, une attraction installée dans un grand magasin de meubles en kit qui attire des enfants venant de partout, typique de la façon dont l'auteur détourne des éléments familiers de notre monde pour en montrer une face inquiétante. L'idée même à la base de Compte rendu de certains évènements survenus à Londres m'a paru extraordinaire, au sens littéral du terme, puisqu'il y est question de "rues sauvages" voyageuses et combatives, et en même temps Miéville structure son récit de telle façon que le lecteur ou la lectrice se surprend à s'interroger. C'est à la fois drôle et subtilement inquiétant, là aussi d'une façon typique de l'auteur. Dans ces deux textes, il utilise les codes du fantastique d'une façon totalement originale et personnelle.
La drôlerie, associée cette fois au sarcasme, est au premier plan de De saison, qui présente un monde où tout ce qui concerne Noël, à partir du mot lui-même, a été privatisé. On voit bien là l'un des modes d'écriture de l'auteur, qui part d'une situation, ou d'une forte tendance, présente, et pousse le curseur plus loin, en en montrant les conséquences, ici poussées jusqu'à l'absurde. Partant aussi d'éléments connus dans notre monde, Mort à la faim expose à la fois les possibles malversations des ONG quand elles sont opaques, et les dangers encourus par ceux qui s'y attaquent. A la frontière entre thriller et SF, ce texte crédible ne fait pas forcément partie des meilleurs.
A la lisière entre fantastique et fantasy, Intermédiaire est à mon sens un tour de force en ce qu'il dépeint par petites touches successives comment un homme a priori "normal" devient totalement fou, se mettant à voir des signes ou des messages partout, ce qui est d'ailleurs l'un des thèmes récurrents du recueil, puisqu'on le trouve dans En quête de Jake, et dans Fondations, d'une tout autre façon. Cette réflexion sur l'habitude qu'a le cerveau humain de chercher du sens en permanence, et sur les dangers possibles de cette recherche quand elle est inconsciente, est particulièrement nécessaire en ces temps d'incertitude et de trouble qui voient fleurir les théories du complot.
On retrouve, bien sûr, ce mélange de genres, cette fois entre SF (steampunk) et fantasy dans Jacques, où les fans de l'auteur retourneront sans doute avec plaisir à la Nouvelle-Crobuzon. La progression de l'intrigue dans cette nouvelle mettant en scène une sorte de Robin des Bois est particulièrement réussie, jusqu'à la révélation finale de l'identité du narrateur, qui surprend et interroge.
Je n'ai pas pu lire Sur le chemin du front, qui se présente sous la forme d'une BD, totalement impossible à déchiffrer en e-pub. A ce propos, je dois dire que je trouve la version électronique particulièrement mauvaise, avec donc un des textes indéchiffrable, la recherche graphique des différentes formes de police d'écriture dans Compte rendu... en rendant la lecture plus pénible qu'autre chose, et l'absence d'une table des matières digne de ce nom, particulièrement gênante dans le cas d'un recueil de nouvelles. Etant donné le peu de différence de prix entre cette version et le papier, je ne saurais trop recommander de choisir plutôt cette dernière, en espérant que les mots manquants qui émaillent le texte se bornent à la version électronique.
Le tain, la novella qui clôture le recueil, a eu le Prix Locus en 2003. L'idée de départ est originale. En effet, après nous avoir dépeint une ville de Londres dévastée par la guerre, l'auteur nous introduit peu à peu dans un univers où les reflets emprisonnés dans toutes les surfaces réfléchissantes ont une existence propre, qu'ils sont empêchés de mener étant donné l'omniprésence actuelle desdites surfaces, et finissent par se révolter en franchissant les miroirs. C'est brillant, et la progression de l'intrigue, comme l'alternance des points de vue entre deux narrateurs, humain et "vampire", permet au lecteur ou à la lectrice de s'apprivoiser peu à peu à ce monde.
Les fans de Miéville retrouveront dans ce recueil sa forme particulière d'imagination, sa façon de nous transporter dans un univers où tout ce qui nous entoure, y compris nos propres productions, est, au moins potentiellement, vivant. C'est en quoi il peut représenter une bonne porte d'entrée à son univers pour ceux ou celles qui ne le connaîtraient pas encore : nul doute qu'il leur donnera envie d'aller plus loin dans la découverte d'un auteur atypique et très actuel.