Les Chroniques de l'Imaginaire

Crooner Nocturne - Ishiguro, Kazuo

Crooner Nocturne est un recueil de deux nouvelles prenant place dans l’univers de la musique et interrogeant la quête de célébrité de deux hommes. Le recueil doit son nom à chacune des nouvelles qui le compose : Crooner pour la première et Nocturne pour la seconde. L’ensemble Crooner Nocturne traduit cependant efficacement l’ambiance générale de l’ouvrage dont les éléments phare de l’intrigue se déroulent de nuit.

Dans Crooner, Jan, un guitariste ayant grandi en URSS à l’époque de la censure culturelle et depuis émigré à Venise, rencontre par hasard l’idole de sa mère, le chanteur Tony Gardner. La carrière de celui-ci est sur le déclin et il accueille avec bienveillance les compliments de Jan. Tony demande bien vite à Jan de lui rendre un service, celui-ci accepte sans se douter des enjeux à l’œuvre.

Cette première nouvelle n’a de cesse d’intriguer. Le lecteur, tout comme Jan, est étranger à l’univers de Tony et de sa femme, Lindy, et ne peut qu’assister à une succession de propos et d’actions dont le sens caché n’apparaît qu’à la toute fin du récit. 

Dans Nocturne, Steve, un saxophoniste prometteur, est confronté à une dure réalité par son agent et par sa femme : son physique ingrat est la seule raison pour laquelle il ne perce pas dans le milieu musical. Alors, quand sa femme le quitte et que l’amant de cette dernière lui propose une coquette somme en compensation, Steve craque et passe sur le billard. Une fois l’opération terminée, il est hébergé dans un hôtel médicalisé en compagnie d’autres célébrités, dont la fameuse Lindy Gardner. 

Cette seconde nouvelle se situe en quelque sorte dans la continuité de la première puisque Lindy apparaît à nouveau dans les personnages secondaires, après les événements de la première nouvelle. Malgré la présence de deux narrateurs masculins musiciens, alors qu’elle-même ne joue pas de la musique, on pourrait presque dire que ce recueil est le sien. Ses manœuvres tiennent plus de la danse ou des échecs que de la musique. 

Steve est lui un personnage qui se demande s’il est prêt à faire les mêmes choix que Tony Gardner, à quoi il souhaite renoncer pour être reconnu par ses pairs et par le public. Si la tristesse et la mélancolie n’étaient pas absentes de la première nouvelle, elles étaient abordées moins frontalement car le personnage de Jan en était témoin plus que victime. Cette fois, la narration de Steve nous confronte de plein fouet à cette souffrance et aux dilemmes moraux d’un musicien aspirant à la célébrité. Heureusement, les interactions de Steve avec Lindy ont un côté loufoque qui confère une atmosphère beaucoup plus légère à cette nouvelle qu’elle n’aurait pu l’être. Cette seconde nouvelle est sans conteste ma préférée des deux. Sans trop en dévoiler, même si la première nouvelle était également très bonne, elle n’acquiert toute sa profondeur qu’à la lecture de la seconde, faisant de cette dernière la plus aboutie.

Cette version du recueil, bilingue, permet au lecteur se débrouillant en anglais de découvrir le style d’écriture de Kazuo Ishiguro. Ce dernier est tantôt direct tantôt détourné et adopte un parler familier en harmonie avec le choix de son mode de narration comme la culture populaire de ses protagonistes. La traduction d’Anne Rabinovitch, présentée en regard de la version originelle, permet de passer facilement d’une langue à l’autre et restitue bien le ton des nouvelles.

Crooner Nocturne plaira aux amateurs de musique, et plus particulièrement à ceux intrigués par les revers de la célébrité.