Les Chroniques de l'Imaginaire

Stoner - Williams, John

C'est en lisant une interview de l'écrivain américain Colum McCann qu'Anna Gavalda a appris l'existence de ce roman de John Willams, Stoner. L'auteur déplorait que cette œuvre soit une oubliée de la littérature américaine. Il en a d'ailleurs offert de nombreux exemplaires dans son entourage pour pallier cette lacune. Anna Gavalda a donc eu envie de partir à la découverte de ce roman mais s'est rendu compte qu'il était non traduit en français. Et s'est mise elle-même à l'ouvrage.

L'histoire démarre en 1910. William Stoner est un jeune homme de dix-huit ans, issu d'une famille de fermiers dans le Missouri. Son père s'évertue à tirer d'une terre appauvrie de quoi vivre et place en son fils l'espoir d'une vie meilleure en l'envoyant faire des études d'agronomie dans l'université la plus proche. Il loge chez de la famille qui l'exploite, lui demandant de s'occuper du bétail avant et après les cours. Stoner connaît l'abnégation depuis son plus jeune âge et ne s'en formalise pas. Il exécute. A l'université, il suit péniblement les cours de sciences. Mais contre toute attente, il se passionne pour le cours obligatoire d'Introduction à la littérature. Grâce à son professeur, Archer Sloane, il voit s'ouvrir devant lui un univers inconnu : celui de l'imagination, du pouvoir de langage, de l'étude des textes. Son avenir qui semblait tout tracé, celui de regagner la ferme avec son savoir en agronomie, vacille et dévie. Archer Sloane en est convaincu : Stoner deviendra professeur de littérature.

Au moment où Stoner réalise que là est son destin, sa vie change du tout au tout. Il trouve la voie de l'épanouissement aux côtés de deux camarades promis au même avenir.
Malheureusement, la guerre en Europe mettra fin au trio. Dave meurt au front. Stoner et Finch restent seuls.

Les lieux ne changeront pas pendant tout le roman. La vie de Stoner s'articulera autour de l'université et de sa maison. Là où il enseigne et là où il étudie, passionné par la littérature, son histoire et ses concepts. Il y aura pourtant un premier tournant lorsqu'il rencontre Edith. Elle est belle, lumineuse. Il tombe immédiatement amoureux. Elle veut se marier, tout de suite. On pourrait penser à l'empressement d'un amour ardent mais le lecteur n'est pas dupe : Edith fuit sa famille. Alors que Stoner rêvait d'une vie tranquille, avec une famille aimante et un métier passionnant, les désillusions vont s'abattre sur lui. Là où il veut donner de l'amour, il ne reçoit qu'un mur d'insensibilité et de mesquinerie. Là où il veut être un passeur de savoir, un confrère hargneux lui mettra des bâtons dans les roues. Là où il trouve l'abandon et la sérénité auprès de sa fille, Edith se mettra en travers de leur chemin.

Stoner est un anti-héros. Pas celui que vous adorez détester ; celui que vous plaignez, celui que vous avez envie de secouer tout en sachant que ce n'est ni dans sa nature ni dans son éducation. On lui a appris à faire avec, alors il fait avec. Et quand il trouve les ressources pour ne pas se laisser faire, le revers de la médaille est trop écrasant. Il puise néanmoins dans la littérature de quoi donner un sens à son vie, et tous les passages relatifs à sa matière sont passionnants. John Williams était lui-même professeur de littérature et son érudition transparaît dans ce roman.

Si vous avez besoin de légèreté, ou si vous traversez une phase existentielle, je vous déconseille ce roman qui est bien capable de faire descendre votre moral au fond des chaussettes. Car Stoner, c'est l'histoire d'un homme qui a traversé la vie sans vivre, passant à côté du bonheur qu'il avait pourtant à portée de main. Une vie d'échec. Pour un lecteur, Stoner, c'est aussi un personnage fort. Presque un Bartleby - I would prefer not to -, un homme qui existe en négatif. Effacé, discret, soumis, dont on a accès aux turpitudes et qui, pour ces raisons, est extrêmement attachant dès les premières pages.

Un roman émouvant et mélancolique d'une grande force, magistralement traduit par Anna Gavalda.