En ce début de quinzième siècle, le royaume de Bohême est secoué par l'émergence du courant hussite, dont les tenants appellent à une rénovation en profondeur de l'Église, qui est considérée comme débauchée et corrompue. La papauté ne voit guère cela d'un bon œil et lance croisade après croisade pour étouffer ces velléités de réforme, en vain. Au nord-est, les petits duchés de Silésie, à mi-chemin entre les actuelles Pologne et République tchèque, sont pour l'instant épargnés par les soubresauts qui parcourent la Bohême.
Pour le jeune Reinmar von Bielau, dit Reynevan, la situation politique et religieuse n'a pas grande importance, du moment qu'il a l'occasion de batifoler avec sa bien-aimée Adèle von Stercza. Hélas pour lui, vient un jour où ils sont surpris en fâcheuse posture par les frères du mari d'Adèle, qui sont bien décidés à ne pas laisser souiller ainsi le nom de leur famille. En s'enfuyant, Reynevan cause malgré lui la mort du plus jeune d'entre eux, s'attirant ainsi leur haine mortelle.
Ce n'est pas le dernier ennemi que se fait le jeune homme dans sa cavale d'un bout à l'autre de la Silésie, même s'il pourra heureusement compter sur ses connaissances de la médecine et de la magie pour se tirer d'affaire, ainsi que sur quelques alliés tombés à point nommé. Ses déboires vont bien malgré lui l'amener à jouer un rôle dans les grandes questions de son temps, tandis que dans l'ombre conspirent de mystérieuses créatures aux desseins incertains…
L'écrivain polonais Andrzej Sapkowski est devenu célèbre dans le monde entier pour ses histoires de fantasy sur le sorceleur Geralt de Riv, adaptées en jeu vidéo et en série télévisée avec le succès que l'on sait sous le titre The Witcher. Avec sa trilogie hussite, il délaisse les univers de fiction au profit d'un cadre historique assez méconnu en francophonie. L'Europe centrale de la toute fin du Moyen Âge, période d'intenses bouillonnements religieux qui annoncent la Réforme protestante, est dépeinte avec brio dans La tour des fous. Les descriptions permettent de s'immerger dans cet univers à la fois proche et lointain sans jamais trop s'appesantir, y compris dans tout ce qu'il pouvait avoir de brutalement violent. Il faudra néanmoins au lecteur francophone s'armer de courage pour affronter les nombreux noms slaves et allemands portés par l'ensemble des personnages.
L'adjectif « picaresque » a été souvent utilisé pour décrire ce livre, et il est vrai que sa structure très épisodique lui correspond bien. Reynevan est balloté de danger en danger, parfois par manque de chance, plus souvent par manque de discernement, mais il s'en sort toujours, parfois par ses propres moyens, plus souvent grâce à ses amis ou par l'intervention d'un élément inattendu. Le bon côté, c'est que le rythme ne faiblit jamais et que les scènes d'action sont au rendez-vous. Le mauvais côté, c'est que c'est un peu répétitif à la longue, surtout quand le protagoniste s'obstine à faire des choix dont tout le monde, que ce soit le lecteur ou son entourage, sait pertinemment qu'ils sont épouvantablement mauvais. L'envie de lui crier dessus pour qu'il réfléchisse un peu est parfois forte.
Ceci étant dit, La tour des fous reste un roman historique fort bien mené, documenté sans être pédant, avec juste ce qu'il faut de fantastique pour relever la sauce sans devenir saugrenu. Les fans du Witcher se jetteront sans doute dessus à juste titre, mais ce serait dommage qu'ils soient les seuls.