Les Chroniques de l'Imaginaire

Le Novelliste (Le Novelliste - 4)

La couverture du quatrième numéro du Novelliste annonce deux textes : la première partie de Voyage en d'autres mondes, un roman de science-fiction paru en 1894, et La sentinelle, une nouvelle de Lucy Sussex de 2003. De ces deux textes, l'un est très bon et l'autre… nettement moins.

La nouvelle de Lucy Sussex est une petite pépite de fantastique, avec juste ce qu'il faut d'horreur pour relever la sauce. On y suit une conservatrice de musée qui s'efforce de convaincre une vieille dame acariâtre de la laisser accéder aux collections d'un marchand d'art fraîchement décédé. L'un des objets de ces collections s'avère particulièrement intéressant : une poupée extraordinairement bien conçue… davantage même qu'on pourrait le croire à l'œil nu. Le récit est rondement mené, les révélations savamment dosées, c'est une vraie réussite.
Il est précédé dans le sommaire par un extrait de livre paru en 1893 dans lequel un journaliste rapporte sa visite des usines Jumeau à Montreuil et le processus de fabrication des célèbres poupées à tête en porcelaine. C'est un texte étrangement moderne, dont j'ai cru au début (ayant mal lu le sommaire) qu'il s'agissait d'une nouvelle de fiction !

John Jacob Astor IV est surtout connu en tant qu'homme d'affaires et victime du naufrage du Titanic en 1912, et ce n'est pas Voyage en d'autres mondes qui risque de changer sa réputation posthume. Ce roman, le seul qu'il ait jamais écrit, prend place en l'an 2000 et suit les efforts des premiers humains qui se rendent à la surface de la planète Jupiter (dont on ignorait, en 1894, qu'elle n'avait pas de surface, étant une géante gazeuse). L'inspiration de Jules Verne est palpable, avec de longues digressions pseudo-scientifiques sur les méthodes employées pour effectuer ce voyage. Tout aussi longues sont les descriptions du monde du futur, entre les efforts de l'humanité pour redresser l'axe terrestre et les développements politiques qui font des États-Unis la première puissance mondiale. Au milieu de tout cela, les personnages (fades) et l'intrigue (presque inexistante) se débattent mollement pour exister, sans grand succès. C'est un texte dont la valeur semble avant tout historique – mais peut-être que la suite du roman me fera changer d'avis ?

Ce numéro propose un autre récit de fiction du dix-neuvième siècle : Blanche, de Mary Fortune. Cette nouvelle est précédée d'une biographie de cette écrivaine australienne par Lucy Sussex (encore elle !). La vie de Mary Fortune a été aussi mouvementée que celle d'une héroïne de roman : née à Belfast, mariée au Canada, émigrée en Australie, elle publie de nombreux textes dans des périodiques australiens, parmi lesquels quelques-uns des tout premiers exemples connus de littérature policière, plusieurs années avant Sherlock Holmes. C'est un personnage fascinant, mais je ne sais pas si Blanche était le meilleur moyen de nous la faire découvrir. Cette nouvelle fantastique est bien menée, avec un protagoniste attachant confronté à un mystère intrigant, mais la résolution m'a fait pouffer. Je serais tout de même curieux de lire autre chose de cette écrivaine, dans un prochain numéro du Novelliste, peut-être ?

Au sommaire de ce numéro-ci, on compte encore cinq nouvelles d'écrivains actuels, toutes très bonnes. Manière grise, de Jean Krug est un récit d'anticipation désabusé, dans un futur où le corps humain est devenu une commodité qui s'achète et se vend. Le thème est classique, mais le traitement est de qualité. Un tigre, de Quentin Villa, prend place dans le monde du cirque, qui est dépeint de manière convaincante autour d'un animal au charisme magnétique. Une semaine de folie, de Fabrice Schurmans, offre une version romancée d'événements réels : l'enquête menée par la journaliste d'investigation Nellie Bly dans un asile new-yorkais en 1887. Ombres sur Maralinga, de James Reich, dénonce les conséquences des essais nucléaires en Australie sur les populations aborigènes. Enfin, L'adieu à la lune de Laurent Genefort est un texte à chute d'abord publié sur la page Facebook de son auteur, mais qui mérite bien une audience plus large et pérenne.

Dans la catégorie « Articles », on trouvera encore dans ce numéro une présentation de l'œuvre littéraire de Fred T. Jane, touche-à-tout excentrique de la fin du dix-neuvième siècle qui a rédigé trois romans de science-fiction, et un entretien avec Jean-Luc Boutel du club des Savanturiers, une association dédiée à l'étude du « merveilleux-fantastique ». Les dernières pages de la revue sont consacrée à la colonne « Comme une image », exercice de style amusant qui voit trois auteurs (Sylvain R:é, Didier Pemerle et Nicolas Liau) proposer de courts textes inspirés par la même image, une eau-forte de l'artiste allemand Lovis Corinth.