Les seigneurs démons Juss et Brandoch Daha sont partis à l'autre bout du monde pour trouver le moyen de sauver leur ami Goldry Bluszco, victime des enchantements du roi Goricé XII de Sorcerie. Ce dernier profite de leur absence pour envoyer ses armées conquérir la Démonie, dernier royaume de Mercure qui ne lui soit pas encore soumis. Pendant ce temps, à la cour de Carcë, les courtisans sorciers luttent pour les bonnes grâces du roi, chacun voulant obtenir pour lui la couronne d'une Démonie bientôt soumise. Mais n'auraient-ils pas vendu la peau de l'ours avant de l'avoir tué ? Et si les seigneurs démons avaient plus d'un tour dans leur sac ?
Cette deuxième partie du serpent Ouroboros s'inscrit parfaitement dans la continuité de la première, avec de grandes batailles, des envolées héroïques et des héros surhumains qui évoluent dans un monde grandiose. L'attention de E.R. Eddison se porte cependant moins sur les hauts faits des Démons que sur les complots et intrigues des Sorciers et le résultat est assez réjouissant. Contrairement à Juss et Brandoch Daha, si parfaits qu'ils finissent par sembler fades, les généraux du roi Goricé se tirent perpétuellement dans les pattes, le vieux Corsus ne peut pas encadrer l'arrogant Corinius, le noble Coronde essaie quant à lui de rester droit dans ses bottes, et quand vous ajoutez à tout ça d'ambitieuses épouses et de non moins ambitieux enfants, la sauce ne peut que prendre.
Ainsi, les chapitres consacrés à ces personnages aussi déplaisants que distrayants sont sans doute les meilleurs de ce deuxième livre. Ailleurs, on suivra avec intérêt le repentir de messire Gro, un gobelin qui oscille entre les deux camps sans que son cœur n'appartienne jamais totalement ni à l'un, ni à l'autre. Les aventures des Démons sont quant à elles réduites à la portion congrue, le sauvetage de Goldry étant finalement quelque peu expédié afin de laisser la place à une grande bataille finale. Eddison laisse libre cours à son amour des sagas nordiques et de l'œuvre d'Homère dans le récit qu'il fait de cet affrontement paroxystique, plein de hauts faits et de seigneurs démons et sorciers qui n'apparaissent que le temps d'être nommés.
Après cela, la conclusion m'a quelque peu déçu. Sans la dévoiler, je me contenterai de dire qu'elle présente les Démons sous un jour singulièrement déplaisant, à la limite de la psychopathie, sans que l'auteur ne suggère en aucune façon qu'il s'agit d'une mauvaise chose ; et les toutes dernières lignes suggèrent que tous les événements qui se sont produits jusqu'alors n'auront en fin de compte pas la moindre conséquence, à la suite d'un littéral deus ex machina. C'est une manière très étrange de conclure ce livre et je ne suis pas sûr de savoir qu'en faire.
C'est d'autant plus dommage que j'ai beaucoup apprécié ma lecture du serpent Ouroboros. Pour une fois, la comparaison avec Le seigneur des anneaux que dresse la quatrième de couverture n'est pas usurpée, et s'il est loin d'atteindre les sommets du chef-d'œuvre de J.R.R. Tolkien, il s'agit tout de même d'un bon roman de fantasy épique qui mérite d'être redécouvert.