Les Chroniques de l'Imaginaire

Le diable emporte le fils rebelle - Leroy, Gilles

Lorraine et son mari vivotent dans une friche du Wisconsin. Ils s'occupent d'un terrain occupé par des camping-cars, qu'ils louent, héritage que lui ont laissé ses parents encore vivants et dont elle doit s'occuper. Ses frères et belles-sœurs la méprisent, elle et son mari qui pourtant se tuent à la tâche. Ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes, avec pas grand chose, sans que leurs quatre fils n'aient jamais manqué de rien.

Le roman n'est pas une photographie sociale de gens miséreux mais dignes. C'est une confession au cours de laquelle on apprend toutes ces choses. La confession d'une mère qui rejette son premier-né, définitivement, après l'avoir pris en aversion dès sa naissance. Adam est né avec une malformation. Lorraine le voyait dans la couveuse, perfusé ; elle ne pouvait pas le prendre dans ses bras, et tout le monde lui répétait tant qu'il ne survivrait pas qu'elle semble avoir fait le deuil avant même qu'il n'ait trépassé. Mais Adam est un adolescent maintenant, bel et bien là et bien conscient que sa mère ne l'a jamais aimé. Il idolâtre son père, s'entend à merveille avec son grand-père et veille sur ses petits frères. Mais sa mère reste une présence avec laquelle il doit vivre contraint et forcé.

Quand le mari de Lorraine rentre après une journée de travail, il la trouve devant un bûcher. Elle maîtrise le feu comme personne. Et au milieu des flammes, il aperçoit les affaires de son fils. Lorraine cherche à effacer Adam. Il n'existe plus.

Cette femme encore jeune est très pieuse, le texte est truffé d'adresses à Dieu et de vocabulaire religieux. Et c'est pourquoi elle ne pardonne pas à son fils ce que ses belles-sœurs lui ont rapporté : des rumeurs sur la sexualité déviante d'Adam. C'est ainsi qu'elle livre sa confession sur son passif avec son fils, une relation tumultueuse sans amour maternel. Un texte ambitieux pour Gilles Leroy, qui parvient à se glisser dans la peau d'une mère courageuse, capable d'amour puisqu'elle aime passionnément son mari et semble aimer ses cadets, mais aussi capable de se justifier pour sortir de sa vie et chasser son propre enfant. Parce qu'il ne rentre pas dans la bonne case. Ne serait-ce pas plutôt un prétexte pour faire disparaître ce regard qui lui tient tête ? 

Bien que la confession de Lorraine soit brillamment écrite, ce qui ressort au final c'est un sentiment d'injustice et de peine sincère pour Adam. Lorraine elle-même vacille entre la certitude de bien agir et le doute. Malgré ces accès de faiblesse, difficile d'éprouver de la compassion pour cette mère qui pense avec sa Bible plutôt qu'avec son instinct maternel, si peu développé soit-il. Ses justifications peinent à nous toucher et à nous convaincre ; c'est d'ailleurs plutôt elle qu'elle cherche à convaincre. La littérature ne manque pas de mauvaises mères odieuses. Mais Lorraine n'est pas dotée de la force de caractère qui la fera rester dans les annales.