Les Chroniques de l'Imaginaire

Le fantôme d'Eymerich (Nicolas Eymerich - 12) - Evangelisti, Valerio

Nous sommes en 1378 et l'inquisiteur Nicolas Eymerich est en fâcheuse posture. Lui qui a l'habitude d'être geôlier se retrouve dans la position de prisonnier, la faute à ses relations perpétuellement mauvaises avec le roi Pierre le Cérémonieux. Il peut heureusement compter sur ses fidèles alliés, le notaire Berjavel et le bourreau Gombau, pour se tirer d'affaire. Direction Rome, où le pape Grégoire XI vient récemment de revenir, abandonnant Avignon où la papauté s'était réfugiée depuis plusieurs décennies. Flanqué de son éternel acolyte, le père Jacinto Corona, Eymerich découvre une ville dont les ruines reflètent la turpitude morale des habitants, qu'il s'agisse de la populace ou des cardinaux. On parle même de la résurgence d'antiques cultes païens fondés sur des sacrifices de taureaux… Mais ce qui perturbe bien davantage l'inquisiteur, c'est cette silhouette insaisissable qui semble le précéder en chaque lieu et dont les témoins affirment qu'elle n'est autre que lui-même. Y aurait-il un lien avec le point Oméga, stade ultime de la conscience humaine théorisé par le théologien Teilhard de Chardin ?

Le fantôme d'Eymerich se présente comme l'ultime tome des aventures du dominicain de Gérone. On y retrouve tous les ingrédients habituels de la série, à commencer par la tripartition entre l'enquête d'Eymerich au quatorzième siècle, les mésaventures du physicien gaffeur Marcus Frullifer dans un futur proche, et des événements plus mystérieux prenant place à ce qui semble être la fin des temps. Comme toujours, c'est la première intrigue qui est la plus intéressante. Frullifer est un peu moins exaspérant ici que dans Eymerich ressuscité, mais ce qui lui arrive est étrangement peu intéressant et ses chapitres, visiblement conçus comme une simple préquelle au tout premier tome de la série, Nicolas Eymerich, inquisiteur (on assiste à la construction de l'astronef Malpertuis), sont les moins intéressants de ce livre-ci. Quant aux événements du futur lointain, ils s'inscrivent dans la droite lignée de ceux des tomes précédents et n'ont pas réellement réussi à retenir mon attention non plus.

Reste donc l'enquête d'Eymerich qui, comme dans les précédents tomes, occupe la majeure partie du livre. Elle met un certain temps à démarrer, l'inquisiteur n'arrivant à Rome qu'au bout d'une cinquantaine de pages, mais c'est un régal de le voir évoluer dans les ruines fétides de l'ancienne capitale du monde connu. Comme dans La lumière d'Orion, Valerio Evangelisti s'en donne à cœur joie pour dépeindre une cité qui n'est plus que l'ombre de sa gloire passée. Dans ce livre, Eymerich est par ailleurs le témoin indirect du grand conclave de 1378, l'acte déclencheur du Grand Schisme d'Occident qui déchira l'Europe chrétienne pendant près d'un demi-siècle. Ces événements historiques sont retracés avec soin et le rôle qu'y joue l'inquisiteur est, cela va sans dire, sans commune mesure avec celui de son homologue réel (même si celui-ci était bel et bien présent à Rome pour le conclave). Son investigation en elle-même est loin d'être la plus passionnante que la série ait pu offrir. Elle repose simplement sur le démantèlement d'une secte païenne relativement inoffensive, un enjeu somme toute anodin au regard des menaces bien plus graves qu'a pu affronter notre héros par le passé. Et ce n'est pas le retour de quelques personnages secondaires croisés dans d'autres tomes qui fera monter la sauce... Ici aussi, le livre donne l'impression de ne pas être à la hauteur de ses ambitions.

Si Le fantôme d'Eymerich n'était qu'une aventure de plus de Nicolas Eymerich, ce serait un livre dans la moyenne basse de la série, pas mauvais mais pas franchement mémorable non plus. En guise de conclusion du cycle, c'est une nette déception. À trop vouloir se mordre la queue, on dirait que l'ouroboros est tombé sur un os.